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tourée, était aussi très-prudemment gardée. Le matin elle recevait vingt visites, le soir son beau-frère venait dormir au coin de son feu, sa belle-sœur venait aussi faire de la musique avec elle et lui tenir compagnie ; Hector ne la quittait jamais que pour s’occuper d’elle. Il était depuis un mois en Normandie, afin de terminer une affaire qu’elle l’avait chargé de régler avec un de ses fermiers. Hector n’était pas là, mais on l’attendait d’un jour à l’autre, et M. de Lusigny voulait profiter de cette absence si favorable à ses projets. Un matin qu’il se trouvait chez Léontine avec plusieurs personnes, il saisit le moment où chacun regardait un tableau nouvellement apporté, pour dire tout bas à madame de Viremont qu’il désirait la consulter sur un grave sujet et qu’il la suppliait de vouloir bien lui accorder un moment d’entretien. Léontine fut frappée de l’air solennel avec lequel cette prière était faite.

— Eh bien, dit-elle, venez mercredi soir ; nous devons tous aller à l’Opéra. Je céderai ma place dans notre loge à une de nos cousines, et je resterai seule ici…

M. de Lusigny la remercia et sortit.

Au même instant, on entendit une voiture de poste entrer dans la cour ; Hector arrivait de Normandie. M. de Lusigny et lui se rencontrèrent dans l’escalier : l’un rougit d’impatience, l’autre pâlit de jalousie ; M. de Lusigny avait malgré lui un air triomphant qui devait alarmer Hector. Cependant le pauvre jeune homme était loin de soupçonner toute la vérité ; il ne voyait encore dans M. de Lusigny qu’un prétendant redoutable ; il ne savait pas qu’un mois d’assiduité avait fait de lui un rival préféré. Hélas ! par cette rencontre toute la joie de son retour était gâtée. Hector apportait une bonne nouvelle et déjà il ne s’en souvenait plus. Cette affaire importante, qui pendant trois semaines l’avait intéressé si vivement, pour lui n’était déjà plus rien ; il ne comprenait qu’une chose, c’est qu’il avait eu grand tort de partir.

Le mercredi, le jour où devait avoir lieu le secret entretien, étant venu, Léontine attendit l’heure du dîner pour annoncer qu’elle n’irait pas à l’Opéra. Hector et sa sœur la regardèrent avec surprise.