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chemin de traverse chez l’oncle de mesdames de Viremont. On se mit en route gaiement. Un des jeunes fats se hâta d’offrir son bras à Léontine ; l’autre dandy s’empara de madame Albert, qui, comme toutes les femmes tristes, était profondément coquette ; les femmes à la mode et les jeunes gens à la mode devaient nécessairement faire la route ensemble, et se consacrer mutuellement leur journée. La femme vertueuse prit le bras d’un des maris ; la femme riche fut réduite à accepter les soins du plaisant. Le vieil élégant se précipita vers la jeune Anglaise… il avait peur que la vieille femme sensible ne lui échût en partage !… Mais il avait tort de s’effrayer : Hector n’était-il pas là pour se charger de tous les paquets ? L’enfant courait d’un groupe à l’autre, adressant à chacun des questions gentilles et plaisantes ; enfin M. de Viremont fermait le cortège, se consolant de marcher si vite en pensant que cette promenade lui donnerait de l’appétit. Ainsi l’on partit le matin ; mais le soir tout était bien changé au retour. Les joyeux propos du déjeuner, les ingénieux accidents du voyage dans la forêt, les erreurs favorables, les hasards heureux, les jeux innocents, les étourderies volontaires, les frayeurs simulées, les conciliabules prétextés, les rencontres inattendues, ces mille chances, ruses, plaisirs, qui constituent une sincère partie de campagne, avaient singulièrement modifié tous les rôles. Les femmes à la mode avaient perdu dans la mêlée leurs deux chevaliers. Les jeunes dandys, qui avaient très-bien déjeuné, sacrifiant les amours élégants et factices, s’étaient laissé complaisamment séduire par des sentiments vrais : la jeune miss avait accaparé le plus beau ; la femme riche s’était emparée du plus bête. Tous les quatre ils marchaient en tête du cortège en revenant à Paris ; on les entendait rire aux éclats : la jeune miss venait de s’apercevoir qu’elle avait perdu sa montre dans la forêt ; mais elle s’était écriée aussitôt : « Ça m’est bien égal ! » et l’on trouvait le mot charmant.

La femme vertueuse paraissait ennuyée et choquée ; elle pressait le pas en tenant son fils par la main ; le vieil élégant, le plaisant et son compère venaient après elle, riant avec mystère et se faisant part de leurs observations. M. de Viremont donnait le bras à la vieille femme sensible ; il comptait sur elle