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C’est-à-dire qu’on ne veut pas de l’une parce qu’elle est très-spirituelle, et encore moins de l’autre parce qu’elle est très-coquette et très-jolie.

— Mais, mesdames, si vous dites non à chaque personne que je vous propose, vous finirez par aller là-bas toutes seules… Voulez-vous enfin la sensible madame de Lorsac ?

— Oui, oui ! elle nous divertira bien avec ses soupirs…

— Et ses souvenirs !… Il faut lui écrire tout de suite.

Bien heureuses les femmes ridicules ; elles sont de tous les plaisirs. On ne peut se passer d’elles. Plus elles sont laides, sottes, désagréables, et plus elles sont indispensables dans une fête ; plus elles sont inconvenantes et plus elles paraissent aimables. Leur niaiserie donne de l’esprit à tout le monde ; il faudrait être bien niais soi-même pour ne pas trouver à dire quelque bonne plaisanterie à propos d’elles. Leur tristesse est une joie universelle. On rit pendant des heures de la plainte qui leur est échappée, de l’accident qui leur est arrivé ; la moindre de leurs élégies est une source inépuisable de bouffonneries et de mystifications. Plus ces femmes sont malheureuses et plus elles sont amusantes ; mais tout en se moquant de leurs peines, comme on sait bien les en consoler ! avec quelle attention on écoute leurs sentimentales confidences, leurs amoureuses confessions ! Comme on a soin d’elles ! comme on sympathise avec elles ! comme le monde, qui est toujours juste, dit-on, les venge noblement de l’ingrat qui ne veut pas les comprendre ou de l’infidèle qui ne les a que trop bien comprises ! comme on les dédommage du malheur de n’être point aimées d’un seul en leur prouvant qu’elles sont aimées de tous !

Après une longue discussion, la partie de campagne fut enfin organisée. Elle promettait d’être charmante ; elle réunissait tous les ingrédients dont se compose une bonne et véritable partie de campagne, il y avait : deux femmes à la mode, pas trop rivales ; une femme riche et sotte, d’une autre société, et flattée d’être admise dans celle-ci ; deux jeunes fats, en apparence bien traités ; un plaisant et son compère ; un frère dévoué, se chargeant de tous les détails ennuyeux ; une femme vertueuse, pour honnêtiser toute chose ; un enfant de dix ans,