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qu’il faut. Madame Albert de Viremont, toujours à l’affût des modes nouvelles, avait vite compris l’importance de ce changement ; elle avait aussi promptement décidé qu’elle aurait pour chaque fête un bouquet de la saison ; mais comme un tel soin lui paraissait trop futile, elle avait ingénieusement inspiré à son frère le désir de s’en charger ; et le pauvre Hector, chaque jour de bal ou de concert, s’empressait d’envoyer à sa sœur un bouquet pour avoir le droit d’en offrir un à Léontine. Madame Albert paraissait ainsi avoir été entraînée malgré elle dans un excès d’élégance dont elle n’avait pas la responsabilité. Mais madame Charles, que pensait-elle en voyant M. de Lusigny toujours orgueilleusement paré d’une fleur qui semblait avoir été dérobée à son bouquet ? Et M. de Lusigny, lui aussi, que pensait-il ? Il pensait que c’était une très-bonne malice que de faire servir au langage de sa passion le bouquet donné par un autre. Cependant il ne savait pas encore que ce langage avait été entendu. Léontine ne tarda pas à le lui prouver elle-même sans le vouloir. Une femme ne lutte pas de ruse impunément avec un pareil diplomate ; il peut tomber une fois dans le piège qu’elle lui tend ; mais il n’y tombe pas seul. Un soir donc, madame Charles de Viremont, après s’être fait longtemps attendre par sa belle-sœur, partit pour le bal en grande hâte et en feignant d’oublier son bouquet. C’était une énorme botte de muguet, elle la laissa sur sa cheminée.

En arrivant au bal, la première personne qu’elle rencontre est M. de Lusigny. Fidèle à son devoir, un brin de muguet ou plutôt, comme dit Béranger :


La fleur des champs brille à sa boutonnière…


Il voit que madame Charles de Viremont n’a point de bouquet ; il s’étonne, Léontine ne peut s’empêcher de sourire de son étonnement ; mais ce sourire la trahit. « Bien ! se dit le séducteur, elle l’a oublié exprès, donc elle m’a compris ! » et il jette aussitôt les brins de muguet loin de lui.

Le croiriez-vous ? la coquetterie et le mystère ont tant de charmes, que ce jeu absurde, cette lutte tout à fait niaise de petites fleurs et de gros bouquets était devenue pour Léontine l’intérêt de toutes ses soirées. Dans le monde, c’était son uni-