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c’était affreux. La maîtresse de la maison était fort mécontente, mais comme tout le monde riait, elle prenait son parti bravement. Chacun observait M. de Lusigny, qui supportait cette humiliation avec beaucoup de grâce ; il se tenait debout devant la cheminée et baissait les yeux d’un air de modestie plein de charme. Il paraissait jouir de cette mélodie en connaisseur éclairé ; lui seul ne riait point ; lui et madame Charles de Viremont, qui était pâle d’indignation : elle avait le secret de cette comédie. Plus cet horrible virtuose chantait faux et plus Léontine était révoltée ; chaque son aigu qu’il poussait lui arrivait au cœur comme une insulte ; il était si évident pour elle que M. de Lusigny n’avait imaginé cette soirée de musique, cet épouvantable concert, que pour l’attirer chez sa cousine, comme il l’avait attirée au spectacle quelques jours auparavant ! elle sentait tout ce qu’il y avait de finesse à avoir choisi ce mauvais chanteur, afin qu’il lui fût impossible à elle de se tromper sur le but véritable de cette soirée : ces chants odieux étaient un langage d’amour qu’elle devait comprendre, et qui devait la toucher. D’ailleurs, les regards du séducteur venaient de moment en moment l’expliquer : sitôt que le chanteur se mettait à gémir d’une façon plus extraordinaire, M. de Lusigny jetait sur Léontine un doux regard qui voulait dire : « C’est pour vous voir une heure que j’ai imaginé ce moyen. »

Quand l’Italien eut terminé son air de bravoure, on passa dans le salon voisin pour prendre des glaces et du thé. C’est alors que M. de Lusigny fut accablé de reproches, d’outrages, d’épigrammes de toutes sortes.

— Quoi ! disaient les dilettanti, c’est pour entendre ça qu’il nous a fait venir ?

— Où donc a-t-il pris que ce pauvre garçon avait une belle voix ? c’est une affreuse guimbarde ; il n’a pas de méthode, il n’a pas le moindre talent.

— Ce n’est pas un musicien… ce n’est pas un Italien !

— Si, vraiment, reprenait M. de Lusigny, c’est un Italien.

— Alors, ce n’est pas un chanteur.

— Non, dit en riant Alfred de ***, c’est un fumiste.

Chacun alors de se récrier.

— Avouez-nous cela franchement, mon cher Lusigny, pour-