Léontine arriva chez elle sans défiance ; mais à peine était-elle assise que la maîtresse de la maison s’écria :
— Comprenez-vous ce vilain M. de Lusigny qui ne vient pas ? Il m’avait pourtant bien promis qu’il serait ici à neuf heures avec son Italien.
— Ah ! dit Léontine, c’est M. de Lusigny qui vous amène ce chanteur ?
— C’est lui ; et depuis trois jours il me tourmente que je fasse connaître à mes amies cette merveille… Mais le voilà !
On vit alors s’avancer d’un air très-grave, trop grave même, M. de Lusigny, suivi d’un Italien, trop Italien aussi, personnage fantastique s’il en fut jamais. Nous assistions à cette présentation, et nous devons le dire à notre gloire, à l’instant même, rien qu’en observant le sourire contraint de M. de Lusigny, nous avons deviné que cet Italien était un faux chanteur qui allait chanter faux.
M. de Lusigny, après avoir déposé près du piano son Italien, passa devant madame Charles de Viremont, en lui adressant un vague salut qui semblait lui dire : « Vous allez voir ce dont je suis capable pour vous. »
Alors commença une étrange scène que nous ne pouvons nous rappeler de sang-froid. Un savant accompagnateur préluda, et après une ritournelle parfaitement bien jouée, l’Italien de M. de Lusigny se prit à chanter. Jamais, non jamais, nous n’avons entendu rien de semblable. En écoutant cela un pape n’aurait pu garder son sérieux. D’une bouche immense, avec des efforts inimaginables, sortaient des sons inouïs. Il y avait de tout dans ce gosier sauvage : des chats, des rats, des souris, des clefs, des cailloux, des sous, de la monnaie, de la ferraille ; excepté de la voix, il y avait de tout. Cet homme imitait involontairement tous les cris plaintifs de la nature, le cri du paon, celui de la chouette, celui de la girouette, le bruit du vent dans les cordages, les sifflements de la bise dans les corridors, les gémissements des portes aux gonds rouillés, des chariots aux roues mal graissées ; excepté le chant de l’homme, il imitait tous les chants. Sous prétexte de cadences, il bêlait ; sous prétexte de roulades, il croassait, et puis sans aucun prétexte il miaulait, jappait, hurlait, beuglait sur tous les tons ;