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La voir tous les jours, habiter avec elle sous le même toit, avoir le droit de s’occuper d’elle à tous moments ; se lever de grand matin pour fatiguer le cheval qu’elle devait monter dans la journée, courir chercher un médecin si elle était souffrante, aller vingt fois chez son homme d’affaires si elle avait à défendre quelques intérêts, lui procurer un plaisir, lui épargner un ennui, écouter patiemment ses longues plaintes quand elle racontait ses chagrins passés, rire aux éclats pour la remercier de sourire quand elle daignait se moquer de lui, telle était sa vie, c’était là tout son bonheur, et il n’en imaginait point d’autre.

Toutefois, ce premier bal l’avait inquiété ; une crainte confuse l’agitait. Il avait bien souffert pendant toute la soirée ; jamais la tyrannie de la garde nationale ne lui avait semblé plus odieuse. Faut-il le dire ? il avait pensé un moment à se soustraire à ses devoirs de citoyen : l’hôtel des haricots lui était apparu, et il avait nargué cette apparition menaçante ; l’ombre de ce garde municipal que les Guêpes ont rendu célèbre s’était dressée devant lui, et il avait défié ce redoutable fantôme. Un moment il avait voulu sacrifier les plaisirs du corps de garde à ceux du bal ; mais il avait eu peur d’être deviné. Il désirait bien trop aller à ce bal pour se permettre d’y aller. Cela nous arrive à tous très-souvent, n’est-ce pas, de nous intéresser à une chose si vivement, que nous n’osons pas même avoir l’air de nous en occuper ?

C’était pour lui surtout que la rentrée de Léontine dans le monde parisien était un grand événement. Il lui tardait d’entendre le récit que les deux jeunes femmes feraient de leur soirée, et c’est afin de l’entendre plus tôt qu’il avait eu l’idée de ce malheureux souper. Le plaisir de voir madame Charles de Viremont en grande parure, elle qu’il avait vue si longtemps en grand deuil, était bien aussi un des sérieux motifs de cet empressement. Mais tous ces plans si naïvement ingénieux, tous ces soins si puérilement tendres avaient été déjoués !

Hector retourna à son poste, l’esprit tourmenté et le cœur triste, et chemin faisant, il se disait : « Je ne veux plus qu’elles sortent sans moi ; ce soir, il s’est passé au bal quelque chose… je saurai ça demain. »