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était donc le très-humble cavaliere servante de sa sœur et de la belle-sœur de sa sœur. C’était mieux encore, c’était l’idéal du Patito. Toujours grondé, toujours accusé, toujours victime, il ne se plaignait jamais. Pourvu qu’on lui permît d’être là, il était content. Il ne demandait pas qu’on l’aimât, il ne tenait pas à paraître aimable ; il demandait seulement qu’on l’autorisât à se dévouer. Comme il ne se plaisait pas à lui-même, il avait besoin de vivre par un autre pour trouver quelque bonheur à vivre. Hector n’était ni beau ni laid, ni sot ni spirituel, ni pauvre ni riche, et cependant, s’il avait voulu s’occuper un peu de lui, il aurait pu devenir riche et spirituel, et même paraître beau. S’il avait consenti à se regarder dans une glace pour voir que son habit lui allait mal, il aurait pu en commander un mieux fait ; s’il avait songé à faire valoir sa fortune, il aurait pu l’augmenter considérablement ; enfin s’il avait voulu cultiver son intelligence, il aurait pu acquérir beaucoup d’esprit, car il avait en réalité tout ce qui en donne : de la raison, de l’instinct, une grande justesse d’observation, une imagination vive et cette hauteur de vue, cette supériorité de jugement que donne une bonté sublime, une bonté royale. Mais, hélas ! il avait aussi tout ce qui fait qu’on n’ose pas avoir de l’esprit : la défiance et le dégoût de lui-même, l’ignorance de ses facultés, une trop grande naïveté d’impression, une philosophie trop sincère, un trop réel mépris des niaiseries indispensables dans le monde, un orgueil engourdi, et, ce qui lui était encore plus fatal que tout cela, une passion sans espoir.

Madame de G. disait, en parlant de lui : « C’est un homme médiocre ; mais avec un grain d’égoïsme, il aurait été un homme supérieur. »

Il aimait Léontine éperdument, follement, et sa modestie était telle, que jamais un seul jour, un seul instant, dans ses plus brillantes chimères, l’idée d’être aimé d’elle ne s’était offerte à sa pensée. Être aimé de Léontine ! lui, Hector de Bastan ! Fi donc ! Ce n’est pas un homme vulgaire comme lui qui mériterait cet honneur… oh non ! Il rêvait pour elle un être si aimable, si distingué, si parfait… qu’il espérait bien qu’elle ne pourrait jamais le rencontrer.