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ponts, courir d’un quartier à l’autre, la population des salons ne change point. Aussi, quand vous demandez :

— Était-il bien joli, le bal de madame une telle ?

On vous répond dédaigneusement :

— Il n’y avait rien d’extraordinaire, on y voyait les mêmes figures qu’on voit partout.

Ce qui n’empêche pas de critiquer une autre fête par ce reproche tout contraire :

— Il n’y avait personne de connaissance, c’était affreux !

Voilà donc le plaisir qui vous attend dans un salon : si l’on y connaît tout le monde, la curiosité n’y est pas excitée et l’on ne s’amuse point ; et si l’on n’y connaît personne, on s’y ennuie.

M. de Lusigny s’occupa de madame Charles de Viremont toute la soirée. La jeune femme ne pouvait lever les yeux sans rencontrer le regard menaçant de cet ennemi qui l’observait. Cependant il ne se fit point présenter à elle ni à sa belle-sœur ; il évita même plusieurs fois de prendre part à une conversation générale qui aurait pu lui servir de prétexte pour se rapprocher d’elles. Il persista dans un silence expressif dont l’effet lui semblait certain. La princesse de *** lui ayant demandé son bras pour l’aider à traverser la foule, il s’empressa de se mettre à ses ordres ; mais bientôt il revint auprès de mesdames de Viremont. Si ces deux dames passaient dans un autre salon, il restait un moment encore dans celui qu’elles venaient de quitter, leur laissant le temps de choisir ailleurs d’autres places ; et puis il allait s’établir de nouveau en face d’elles avec la plus agréable affectation. Il étudiait attentivement les femmes avec lesquelles mesdames de Viremont paraissaient liées le plus intimement, inscrivait leurs noms dans sa mémoire, et se promettait d’aller leur faire sa cour dès le lendemain. Mesdames de Viremont possèdent, par malheur, un vieil oncle, bavard très-ennuyeux. M. de Lusigny éprouva le besoin d’écouter pendant une demi-heure les raisonnements politiques de cet oncle. Mesdames de Viremont possèdent encore une grosse cousine qui étouffe toujours, et qui avale quinze glaces et autant de verres de sirop dans les moindres fêtes. M. de Lusigny ne put résister au désir de lui offrir six glaces aux