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était ce soir-là fort bien mise. Sa robe de gros de Naples blanc, garnie de trois volants, était faite à merveille, et la petite couronne de lilas étoilée de diamants qui entourait ses cheveux nattés était du meilleur goût.

Quant à madame Charles de Viremont, elle était si jolie, son teint était si frais, ses joues étaient si rosés, son sourire était si fin, ses manières avaient tant de grâce et de vivacité, que M. de Lusigny ne voulut pas absolument reconnaître en elle cette pauvre jeune veuve dont les malheurs furent si célèbres, et à laquelle, malgré lui, il s’était intéressé tant de fois. Il tomba dans le tort vulgaire de juger sur les apparences. Il s’imagina que celle des deux femmes qui paraissait triste était celle qui avait été malheureuse, et sur elle se fixa d’abord toute son attention. Mais il vit bientôt son erreur. Un homme tel que lui ne pouvait longtemps s’y tromper. Il ne tarda pas à deviner qu’il y avait entre madame Albert et madame Charles de Viremont toute la différence qui existe entre une vague langueur et un profond découragement, entre une inquiétude sans cause et un désespoir sans remède.

En effet, la tristesse calme de l’une, cette tristesse qui osait se montrer, ne provenait point d’un chagrin réel, c’était la douce mélancolie d’une imagination rêveuse qui croit encore au bonheur, mais qui est lasse de le chercher ; tandis que la gaieté factice et nerveuse de l’autre, c’était ce douloureux courage d’une âme brisée qui n’espère rien, qui ne désire rien, qui ne cherche plus le bonheur parce qu’elle l’a perdu, parce qu’elle sait qu’on ne l’entrevoit sur la terre un jour, une heure, que pour le perdre. C’était la fermeté stoïque, la résolution violente d’une femme désenchantée, qui supporte la vie par devoir, mais qui trouve la force de vivre dans une volontaire insensibilité, dans une complète abnégation. Il n’y a que deux manières de traiter la douleur : par l’abrutissement ou par l’étourdissement. Il faut, si l’on est libre de souffrir, se livrer à elle comme une proie, comme la victime est livrée au bourreau, se laisser par elle tourmenter, déchirer, torturer ; lui donner à la fois tout son sang et toutes ses larmes. Alors on tombe devant elle épuisé, anéanti, abruti… mais soulagé. Si l’on n’est pas libre de lui appartenir tout entier, c’est elle, au