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de M. de Lusigny, sa vie était un long supplice. Fille d’une portière ambitieuse, et l’on sait jusqu’où l’ambition peut entraîner une portière sans principes, Stéphanie, dès son enfance, avait été destinée à embellir de sa présence les ballets et les coulisses de l’Opéra. Elle était jolie, coquette, gourmande, et d’une vanité à toute épreuve, c’est-à-dire qui ne résistait à aucune tentation. Elle était célèbre dans le monde par ses succès infiniment variés ; on l’accusait d’avoir dévoré plusieurs patrimoines et compromis plusieurs majorats. Elle aimait les diamants avec passion, comme on aime les fleurs et les châles de l’Inde avec caprice, comme on aime les rubans ; elle aimait les dentelles, elle aimait les chapeaux à plumes, elle aimait les riches étoffes, les montres de Bréguet, les bijoux ciselés, les chaînes d’or, les dîners fins, les brillantes fêtes, elle aimait tout… excepté cependant ceux qui lui offraient ces richesses et ces plaisirs pour être aimés. Telle était cette heureuse femme. Mais il faut lui rendre justice : du jour où M. de Lusigny s’est occupé d’elle, elle n’a plus rien aimé que lui. C’est alors que le supplice de la conversion a commencé. Un mot de lui a suffi pour changer cette existence folle en une austère vie. D’abord elle s’est mise à pleurer tous ses péchés en détail les uns après les autres : elle a longtemps pleuré ; ensuite, elle a renoncé aux vanités du monde, elle a vendu ses bijoux, ses châles et toutes ses parures, et elle en a donné le prix aux pauvres, c’est-à-dire à ses dignes parents. Ce qui ne les empêchai pas de s’écrier avec amertume, en parlant de M. de Lusigny : « Ah ! cet homme-là nous a ruinés ! » Ils ignoraient alors la généreuse donation qu’il avait faite à leur fille pour consolider, disait-il, sa conversion. Après avoir ainsi courageusement anéanti les preuves accusatrices d’un passé coupable, Stéphanie avait voulu élever son âme à la hauteur des pensées de celui qu’elle aimait. Elle avait appris l’orthographe ; elle copiait des pages entières de Massillon, pour se familiariser avec les secrets d’un beau style. Les plaisirs de Paris lui étaient devenus odieux. Elle se plaisait à voir le coucher du soleil dans la plaine Saint-Denis, ou sur la montagne du Calvaire ; elle ne savourait plus ni vin de Champagne, ni vin du Rhin, ni truffes, ni écrevisses, ni pâtés de foie gras.