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plaisir à exiger. Vous souvient-il de cette belle comtesse de S…, si dédaigneuse, si capricieuse, si impérieuse, et quelquefois si furieuse, devant laquelle Charles de S… tremblait comme un esclave tremble devant son maître ; cette impératrice manquée, qui se mourait de dépit de ne pouvoir régner que dans un salon, cette femme bel esprit qui n’avait pas d’esprit, dont la conversation était si fatigante, qui ne permettait aucune objection, et qui cessait de vous prier à dîner chez elle quand par malheur, un jour à table, vous aviez eu l’audace de n’être pas de son avis ; cette protectrice officieuse qui vous protégeait malgré vous, et pour vous humilier qui vous adressait tout haut, devant tout le monde, les questions les plus embarrassantes que madame de V… appelait spirituellement des questions de princesse ; qui disait, par exemple, à une femme veuve : « Madame une telle, votre douaire est-il considérable ? » ou bien demandait à une étrangère établie en France depuis longtemps : « Madame B…, à quel âge êtes-vous venue à Paris ? » ou bien encore, interrogeant avec indiscrétion un jeune homme qui avait eu quelques différends avec sa famille, lui disait : « Monsieur T…, êtes-vous bien avec votre père maintenant ? » Toutes questions très-pénibles à entendre, et que les rois ont seuls le droit de vous adresser, parce qu’eux seuls ont le pouvoir de vous les rendre agréables, car ils peuvent doubler le douaire des veuves, naturaliser les étrangers et réconcilier les familles. Cette orgueilleuse personne, vous vous la rappelez, n’est-ce pas ? eh bien, M. de Lusigny, en moins de trois semaines, l’avait changée complètement ! C’était une soumission, une douceur, une complaisance, une humilité dont tout le monde était émerveillé. Elle, auprès de qui ce pauvre Charles de S… était si tremblant, devenait tremblante à son tour auprès de M. de Lusigny. À peine osait-elle lever les yeux quand il était là ; bien loin de chercher à le dominer dans ses opinions, elle attendait qu’il eût parlé pour avoir un avis elle-même. La crainte de déplaire rend si timide, et l’amour guérit si vite de l’orgueil !

Par quelle ruse M. de Lusigny avait-il obtenu ce triomphe ? qu’avait-il su dire à cette impérieuse beauté pour la rendre tout à coup docile ? Eh ! mon Dieu ! il avait employé une ruse