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II.


M. de Lusigny, outre ce système étrange, avait une manie plus étrange encore : non-seulement il s’amusait à se métamorphoser pour plaire à une femme, mais il s’amusait aussi à la métamorphoser elle-même après lui avoir plu. Et c’est pour cela que, malgré son extrême discrétion, ses soins étaient si compromettants. Les femmes qui l’aimaient se trahissaient elles-mêmes par leur subit changement. Oh ! M. de Lusigny n’avait pas besoin de publier ses victoires ; il n’avait pas grand mérite à dédaigner le charlatanisme de la fatuité : on n’avait qu’à observer un moment la femme dont il s’occupait pour deviner le jour et l’heure où elle commençait à l’aimer. Quelle différence ! comme toutes les paroles de cette femme, toutes ses manières, toute sa personne étaient changées ! Ce n’était plus la même voix, plus le même regard, le même maintien. Naguère, elle était nonchalante, son air était froid, tout l’ennuyait ; aujourd’hui elle est vive, enjouée, presque folâtre, tout la fait rire ; c’est merveilleux. Elle passait sa vie étendue sur un canapé, elle ne sortait jamais que le dimanche pour aller à l’église, elle n’aimait ni la musique ni la danse… maintenant elle court toute la journée à pied, en voiture, à cheval ; elle ne manque pas une fête, elle a une loge à l’Opéra, et elle apprend à nager. Quelle activité ! la métamorphose est complète ; et ce qu’il y a de plus plaisant, c’est qu’elle ne s’aperçoit pas du tout de la métamorphose ; elle s’imagine avoir toujours été ainsi. Quand on lui démontre pourtant à quel point ses habitudes nouvelles sont différentes de celles d’autrefois, elle répond naïvement :

— Autrefois je ne pouvais jamais sortir, j’étais obligée de tenir compagnie à ma mère.

On est au moment de lui objecter :

— Mais madame votre mère demeure toujours avec vous…

Et puis on se rappelle qu’il faut respecter son erreur, et l’on dit :

— C’est vrai, autrefois vous faisiez semblant d’être pares-