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s’était changé en coucou ! Quelle leçon ! quelle mordante épigramme il y avait, dans cette métamorphose ! En effet, pour qu’une prude ose vous aimer, il faut que vous soyez laid, pauvre et inconnu ; jamais une prude ne se permettrait de distinguer, — les gens communs qui ont des prétentions à la délicatesse du langage emploient volontiers cette expression, — de distinguer un beau jeune homme, riche et à la mode ; il lui faut des amours subalternes et voilés, si improbables qu’ils ne puissent jamais être soupçonnés : un vieux médecin, un précepteur timide, un voisin de campagne obscur, voilà les séducteurs des prudes ! Ah ! vous en conviendrez. Jupiter était un observateur bien profond !

Nous n’en voudrions pas d’autre preuve que cette métamorphose, peut-être encore plus spirituellement moqueuse. La Fable dit : « Jupiter se changea en flamme pour séduire Égine, princesse de Béotie,… » Comprenez-vous l’ingénieuse méchanceté de cette allégorie ? Que nous enseigne ce mythe ? Il signifie : Avec les femmes sottes, avec les princesses de Béotie, il faut jouer la passion.

M. de Lusigny voyait aussi le type de la femme ambitieuse dans l’imprudente Sémélé, qui périt victime de son orgueil. Un jour, elle supplia Jupiter d’apparaître à ses yeux dans tout l’éclat de sa gloire, et le feu du ciel, qu’elle osa regarder, la consuma. Ainsi périssent les femmes qui ont la passion du pouvoir. Elles règnent un jour, mais dans les alarmes ; elles s’élèvent par la faveur, mais pour retomber par la calomnie ; elles arrivent jusqu’au maître, elles touchent le sceptre, elles essayent la couronne ; mais, dans le délire qui s’empare d’elles, elles ne voient pas au pied du trône l’abîme où elles doivent s’engloutir. Que de Sémélés dans notre histoire ! Agnès Sorel morte de chagrin, Gabrielle d’Estrées morte empoisonnée, la duchesse de Châteauroux indignement persécutée, la princesse des Ursins cruellement exilée, et tant d’autres célèbres ambitieuses, reines éphémères dont la fin tragique fait pitié, sans compter toutes les Sémélés bourgeoises de nos jours !

Enfin, dans la vertueuse Alcmène, que Jupiter ne peut séduire qu’en prenant les traits d’Amphitryon, son époux, M. de Lusigny voyait le type de la femme honnête, qu’on ne