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I.


Il était une fois un séducteur qui cherchait de l’ouvrage. L’hiver s’était pour lui joyeusement passé en brillantes conquêtes ; mais le printemps était arrivé, et si le printemps est la saison des amours, ce n’est pas celle des séductions. M. de Lusigny était resté seul et désœuvré à Paris ; aux premiers rayons du soleil, toutes ses heureuses victimes s’étaient envolées, emportant le trait qui les avait blessées, et il lui fallait attendre que l’été, le véritable été, fût venu pour aller les rejoindre aux eaux, ou pour les visiter dans leurs châteaux. Les correspondances étaient actives ; les petites lettres parfumées arrivaient chaque matin des provinces inquiètes ; mais que sont les joies de la correspondance pour un séducteur ? un embarras flatteur, et voilà tout. L’ennui de ranger par ordre de dates et de couleurs (M. de Lusigny avait le tiroir des blondes et l’armoire des brunes ; il prétendait que les blondes sont en général méchantes et coquettes, tandis que les brunes, au contraire, sont bonnes et sensibles), l’ennui de ranger par ordre tous ces amoureux reproches était à peine compensé par le plaisir de les mériter. D’ailleurs, ces cœurs qui lui appartenaient, ces orgueils qu’il avait soumis, ces imaginations qu’il avait troublées, ne pouvaient plus l’intéresser. Tous les conquérants se ressemblent, le passé ne compte pas pour eux. Il leur faut chaque jour des victoires nouvelles ; ils ne savent garder leur prestige qu’à ce prix. Attacher est plus difficile que