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OU DEUX AMOURS

toi, je vivrai, je t’aime tant, que je ne pourrai pas mourir. Cet amour est impérissable, sa flamme est éternelle, elle me soutiendra, rien ne pourra l’éteindre !

Robert ne répondait pas. Tous les tourments de l’enfer lui torturaient le cœur. Dans les rares instants où Marguerite dormait, il descendait s’enfermer chez lui ; et là, seul, il se livrait à toute la violence de son désespoir. Ce qu’il éprouvait, lui, c’était de la rage, c’était une haine insensée contre le malheureux dont la fin tragique avait détruit son bonheur. Dans sa fureur, il lui parlait, il l’accusait de cruauté, d’égoïsme et de perfidie ; il lui reprochait sa mort comme une méchanceté… — Un jour plus tard, quelques heures plus tard, s’écriait-il, Marguerite était à moi ! et dans la voluptueuse ivresse de notre amour, dans le vertige de nos ravissements, elle n’aurait pas même compris que tu n’étais plus là ; elle n’aurait pas senti ta perte, elle n’aurait plus rien entendu, que ma voix qui l’aurait doucement bercée, elle n’aurait plus rien Compris que ma présence… elle aurait oublié les vivants et les morts et le monde entier dans mes bras ! Va ! si elle avait été à moi un moment, tu n’aurais pas pu la reprendre !…

Quand il revenait près de Marguerite et qu’il la voyait pâle et mourante, étendue sur ce lit si élégant, orné avec une magnificence si pleine de tendresse ; quand il se rappelait les rêves délicieux qu’il faisait encore la veille en préparant cette chambre bien-aimée, et qu’il songeait à toute cette joie perdue ; quand il se disait que la mort, l’implacable, mort allait lui arracher cette femme qu’il avait conquise avec tant de passion et tant de peines, il tombait vaincu par sa douleur, et il pleurait, il sanglotait comme un enfant, il passait de longues heures à regarder Marguerite, à se pénétrer de son image, et cette admiration poignante l’exaspérait jusqu’à la folie. L’idée que cette beauté céleste allait disparaître, que cette forme charmante allait se perdre à jamais, le révoltait, le transportait jusqu’au blasphème ; il la pleurait comme amant et comme artiste ; il aurait voulu du moins sauver sa beauté ! Il trouvait que Dieu était cruel de détruire dans toute sa fleur sa plus belle créature ; il lui semblait que cette créature d’élite, si parfaite, si heureusement et si merveilleusement douée, devait