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MARGUERITE

dans la chambre si soigneusement préparée pour elle, et on la déposa sur le lit nuptial, pâle et mourante.

Une telle douleur était trop forte pour cette frêle nature. Une santé si délicate ne pouvait lutter contre cette suite incessante d’agitations. Marguerite, dès le soir même, éprouva tous les accidents de la maladie à laquelle elle avait failli succomber huit mois auparavant. Le danger était grave. On envoya chercher madame d’Arzac. Marguerite, en apercevant sa mère, comprit qu’elle était perdue. En effet, il fallait qu’elle fût dans un état désespéré pour que madame d’Arzac eût consenti à venir chez M. de la Fresnaye.

Dès lors, Marguerite sentit sa pitié se transformer. Elle ne pleura plus Étienne. Toute sa compassion, toute sa sollicitude furent pour Robert, pour Robert qu’elle allait quitter. Ses ressentiments s’éteignirent ; elle retrouva son amour, et elle n’eut plus qu’une pensée : lui consacrer tout entiers les derniers instants qui lui restaient à vivre, et pendant ces dernières heures lui donner tout le bonheur qu’une mourante peut donner. Elle le gardait près d’elle et lui parlait avec une tendresse pleine de larmes qui déchirait le cœur.

— Oh ! pardonne-moi de mourir, lui disait-elle ; mais cet amour offensé me réclame, je le sens qui m’attire dans la tombe avec lui… Ce qui m’étonne, c’est que je puisse te quitter, toi que j’aime tant ! c’est que ton amour à toi n’ait pas la puissance de me retenir… Quel dommage ! nous aurions été si heureux ! J’aurais oublié tout près de toi ; oui, j’aurais supporté l’absence d’Étienne ; mais cette mort, cette horrible mort… que j’ai causée ! oh ! cela, je ne peux pas le supporter !… Et puis s’aimer comme nous nous aimons, c’était trop ! un bonheur si grand ne peut pas durer. Ces huit jours que nous venons de passer avec cette espérance enivrante, eh bien, Robert, ils valent toute une vie ! Si l’on m’avait dit : Vous éprouverez pendant huit jours cette joie folle et vous mourrez après, j’aurais répondu : Cette joie vaut la mort ! je veux connaître cette joie et mourir !… Robert, rappelle-toi ces jours de délices et avoue qu’un tel enchantement n’est pas trop payé par la mort…

D’autres fois, voyant son désespoir, elle disait : — Rassure-