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MARGUERITE

Robert la regardait, ému et attendri.

— Vous n’êtes pas jaloux ? dit-elle.

— Non, répondit Robert, c’est une preuve d’amour que vous me donnez.

— C’est vrai ; si je vous aimais moins, je n’oserais pas.

Les veuves se remarient toujours en cachette, et madame de Meuilles, qui avait changé si brusquement de mari, désirait plus qu’une autre le mystère. La cérémonie devait avoir lieu à minuit dans l’église de la Madeleine. Les témoins seuls devaient y assister. Marguerite n’osa sortir de chez elle tant qu’il fit jour ; vers cinq heures, elle alla voir madame d’Arzac pour convenir de l’heure où elle viendrait la chercher ; mais au moment du dîner, Marguerite n’était pas encore de retour. Robert l’attendait depuis longtemps ; inquiet et craintif comme on l’est dans un jour solennel, il se décida à aller trouver Marguerite chez madame d’Arzac. On lui dit que madame d’Arzac était sortie, mais que sa fille était là-haut dans sa chambre. Il pensa que l’occasion était bonne pour envahir la maison maternelle, et que sa belle-mère, en le trouvant chez elle, le traiterait avec plus de douceur. Il monta l’escalier et arriva dans l’appartement de madame d’Arzac.

Il était assez troublé, il avait peur d’être grondé par Marguerite ; mais, en y réfléchissant, il se disait : « Elle est ma femme ; sa mère a le droit de me chasser, mais j’ai le droit de venir chez elle. » En traversant le salon, il entendit gémir, pleurer… Une voix appelait : « Étienne ! Étienne !… » Il reconnut la voix de Marguerite. Il entra brusquement dans la chambre de madame d’Arzac. Marguerite y était seule, les cheveux en désordre, les yeux égarés ; elle tenait à la main une lettre qu’elle ne lisait pas, elle semblait folle de douleur. À la vue de Robert, elle tressaillit. Elle lui donna la lettre sans pouvoir articuler un mot.

Cette lettre, adressée à madame d’Arzac, était du secrétaire de son beau-frère ; elle disait :

« Madame,

» Un malheur affreux vient de frapper M. le comte. Hier, à la chasse, son fils Étienne a péri victime d’une imprudence.