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OU DEUX AMOURS

Marguerite emporta la lettre d’Étienne ; elle la couvrit de baisers et de larmes. « Pauvre Étienne ! comme il est malheureux ! » disait-elle. Et cependant ce billet ne parlait de rien autre chose que d’un chevreuil qu’il avait tué et qu’il envoyait à son père, et de l’efficacité de la chasse pour guérir de l’amour.

Tout le reste de la journée, Marguerite fut triste. Elle serra vite cette lettre dans un tiroir : cette écriture lui faisait un mal affreux à regarder.

Le jour du mariage arriva, — du mariage à la mairie, — le mariage à l’église ne devait avoir lieu que le lendemain. Comme ces sortes de cérémonies se font sans aucune solennité, Marguerite souffrit moins de l’absence de sa mère. En sortant de la mairie, elle alla chez madame d’Arzac ; elle avait la conscience satisfaite, le cœur joyeux : elle était la femme de Robert, rien ne pouvait plus les séparer. Elle pensait que sa-mère, la sachant mariée, s’adoucirait : l’irrévocable a cet avantage, de calmer les esprits en ne leur laissant plus la faculté de travailler. En effet, madame d’Arzac reçut sa fille avec plus de bienveillance, et Marguerite espéra que la cérémonie du lendemain, en l’attendrissant malgré elle, la forcerait à une réconciliation complète. Elle se disait aussi que M. de la Fresnaye serait si respectueux, si affectueux pour elle, qu’il parviendrait à la toucher. Elle quitta sa mère pleine d’espérance, et madame d’Arzac, la voyant si heureuse, se sentit un peu désarmée.

La soirée se passa d’une manière charmante, à parler du lendemain et à préparer le déménagement bienheureux. Marguerite arrangeait ses papiers, ses bijoux dans des coffres, dans les tiroirs de petites tables que l’on emportait à l’hôtel de la Fresnaye. Déjà Gaston y était presque installé ; il y avait envoyé ses livres, son piano, ses joujoux, et il allait y courir dans le jardin à ses heures de récréation.

En rangeant ses livres, Marguerite trouva un album qui appartenait à Étienne ; elle l’enveloppa soigneusement ; elle chercha le portecrayon d’Étienne et tout, ce qui lui servait à dessiner, et, plaçant ces objets dans une boîte, elle les envoya dans sa nouvelle demeure comme des reliques précieuses, souvenirs d’un ami qu’elle ne voulait pas sacrifier.