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MARGUERITE

se marieraient la semaine suivante. Teresa vint jouer avec Gaston ; Marguerite, en la regardant, se rappela ses projets de mariage. Le malheureux Étienne lui apparut alors dans l’avenir, consolé, joyeux, infidèle, et elle ne songea plus à le plaindre dans le présent. Et puis Robert était là, et quels que fussent ses regrets et ses craintes, elle ne pouvait pas s’empêcher d’être heureuse quand il était là.

Pendant huit jours, Marguerite alla tous les matins chez sa mère et elle écouta les mêmes reproches, les mêmes injures, avec une constance que rien ne déconcertait. Son amour lui donnait tant de courage ! Souffrir pour Robert lui semblait si doux ! Elle parlait d’Étienne bravement et sans trouble, et le loyal intérêt qu’elle lui témoignait étonnait sa mère. Madame d’Arzac, qui s’attendait à de la confusion, à des remords, ne s’expliquait pas cette tendresse que gardait Marguerite pour un homme envers qui elle avait des torts si graves.

Comme Marguerite l’interrogeait :

— Nous avons de lui de très-bonnes nouvelles, répondit madame d’Arzac ; il commence à se distraire ; MM. de Presles l’ont forcé de venir avec eux à une grande chasse qu’ils ont faite dans la forêt de Sainte-Lucie. Étienne a tué deux chevreuils, il en envoie un à son père et lui écrit que cette journée de chasse lui a fait grand bien. « Je ne crois pas, dit-il, qu’il y ait une passion qui tienne contre une pareille fatigue ; encore une course comme celle-ci, et je ne serai plus qu’un chasseur. » Mais je crois l’avoir là, cette lettre, ajouta madame d’Arzac ; il me semble que je l’ai mise hier dans ma poche par distraction.

— Oh ! ma mère, montrez-la-moi ! dit Marguerite.

Madame d’Arzac sonna sa femme de chambre ; elle venait justement de trouver une lettre dans la poche de la robe que madame d’Arzac portait la veille.

Marguerite s’empara de cette lettre avidement. Une douleur inexprimable la saisit en voyant cette écriture : son cœur lui disait que cette tranquillité était feinte. Elle lisait le désespoir le plus violent dans ces lignes indifférentes.

— Laissez-moi cette lettre, dit-elle en pâlissant.

— Étrange femme, pensa madame d’Arzac, on dirait qu’elle l’aime plus que jamais !