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MARGUERITE

— Ne me parlez pas, je vous en prie, de cet amour subit, involontaire, inexplicable, dont je suis honteuse pour vous… Oui, je rougis pour vous en pensant qu’un monsieur… que vous aviez vu trois fois à peine… a pu vous enflammer au point d’oublier pour lui tout engagement, toute affection, et je dirai même toute pudeur. Moi, je vous l’ai souvent répété, je n’entends rien en amour ; mon gros bon sens me faisait croire que, pour aimer un homme, il fallait le connaître, savoir s’il était digne de nous, s’il partageait nos sentiments, nos idées ; jamais je ne me serais imaginé qu’on pût s’amouracher ainsi du premier venu, et surtout que ma fille, à moi, fût capable de ressentir jamais ce genre d’amour… que je ne veux pas qualifier, et qu’une femme comme il faut devrait, si elle l’éprouve, au moins savoir cacher. Après tout, c’est encore très-heureux que ce soit un homme de votre rang qui vous ait inspiré cet amour-là ; vous auriez pu aussi bien le ressentir pour une espèce, et il aurait fallu de même subir cet affront. Épousez donc votre amant, ma chère, car ça ce n’est pas un mari, c’est un amant ; tâchez d’être heureuse avec lui ; mais n’essayez pas de me le faire adopter, parce que moi je ne l’aimerai jamais ; je n’ai pas les mêmes raisons que vous pour l’aimer. Vous pourrez venir chez moi tant que vous voudrez, seule ; mais quant à m’engager à aller vous voir, c’est inutile, ma résolution est prise ; je n’irai jamais chez cet homme ; jamais, jamais je ne lui pardonnerai de m’avoir désillusionnée de ma fille, de ma fille que je plaçais si haut, dont j’étais si fière ! et que j’aimais tant pour sa pudeur et pour sa dignité !… Ah ! le misérable !

Marguerite pleurait en écoutant ces reproches pleins d’amertume ; à ce mot : « le misérable ! » elle sourit avec douceur. La colère de sa mère l’affligeait, mais ses injures ne la fâchaient ni pour elle ni pour Robert ; sa mère l’avait avoué elle-même et elle le prouvait : elle n’entendait rien à l’amour ; on ne pouvait lui en vouloir de ses blasphèmes.

— Le temps vous convaincra, ma mère, répondit Marguerite avec confiance et avec respect, que je n’ai manqué ni à la pudeur ni à la dignité en choisissant un homme que tout le monde honore et qui m’honore moi-même en me choisissant.