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OU DEUX AMOURS

reprit Marguerite avec défiance ; et est-ce cela aussi qui vous faisait pleurer ?

— Je ne pleurais pas… je… Alors Étienne s’empressa de plaisanter, et dit en souriant : — Je m’attendrissais.

— Vous êtes un flatteur, continua Marguerite ; je sais bien que je ne suis plus jolie.

— Oh ! mon Dieu, jamais vous n’avez été plus belle, et la preuve, c’est que ce dernier portrait est cent fois plus joli que tous les autres.

— Je ne trouve pas cela, dit Marguerite ; celui que vous avez fait il y a trois mois, celui dans lequel je suis en habit de cheval, est beaucoup mieux dessiné.

— Oh ! c’est un croquis. Puisque vous parlez de dessin, je vous avouerai que le mieux dessiné est celui que j’ai fait cet hiver, celui de la robe bleue et de la couronne de roses ; celui-là est mon chef-d’œuvre, et il vous ressemble !

— Non, je ne l’aime pas ; il est maniéré ; ma mère en a un qui me plaît mieux : vous vous rappelez… celui de la branche de lilas ?

— Ah ! si je m’en souviens ! C’est le premier que j’ai fait en revenant d’Asie. Comme j’étais heureux ce jour-là ! avec quelle joie je vous retrouvais après une si longue absence ! Oh ! quel affreux voyage ! que j’ai souffert dans ce maudit pays ! C’est à Smyrne que j’ai appris votre mariage… je déteste Smyrne ! J’en suis parti sur-le-champ, je n’ai voulu visiter ni le port ni les bazars. J’étais fou de désespoir. Ce mariage m’avait toujours semblé impossible, et malgré la résolution de votre père et sa cruauté, je me flattais encore qu’il surviendrait quelque obstacle… Et puis aussi, je pensais que vous auriez plus de courage pour résister… Ah ! Marguerite… Marguerite… vous avez été bien docile !… Et vous voulez que je sois rassuré ! Vous me demandez ce que je crains ! Hélas ! c’est votre caractère qui me fait trembler… Oui, demain, par un caprice, votre mère viendrait vous dire : « Je ne veux plus que vous épousiez votre, cousin, » que, pour lui plaire, vous me diriez une seconde fois, en pleurant, juste assez pour ne pas être détestée : « Étienne, il faut nous quitter, adieu !… »

Marguerite, par un mouvement d’impatience, reprît son