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OU DEUX AMOURS

adieu… un adieu qui devait lui donner Marguerite pour toute la vie.

Cette journée fut charmante et fatale ; on les paye cher ces moments d’ivresse. Cela n’est pas permis, que deux êtres vivent l’un pour l’autre et oublient la création entière pour ne plus voir qu’eux seuls ; il faut châtier de telles insolences, l’univers mérite des égards, on ne peut pas comme cela le supprimer impunément ; l’univers est susceptible, il trouve toujours le moyen de se venger tôt ou tard, et d’une façon cruelle, de ces bonheurs dédaigneux qui ont eu l’audace de l’oublier… Puis, il ne faut pas se faire d’illusions, et il faut bien déclarer cette vérité à tous les cœurs menacés : l’amour est un malheur toujours, même quand il est partagé, même et surtout quand il est heureux… un grand malheur… Mais c’est un malheur qui fait aimer la vie, ce que ne font pas toujours les bonheurs les plus raisonnables et les plus certains.

Ce soir, madame de Meuilles, en rentrant chez elle, trouva une lettre de sa mère ; elle la lut en tremblant.



XXII.

Madame d’Arzac envoyait à Marguerite son consentement.

« Mariez-vous tout de suite, disait-elle ; il est temps de mettre un terme à ce scandale. Tout ce que je puis faire pour vous, c’est d’assister au mariage à l’église ; Dieu seul pourra me donner la force de cacher ma haine… »

Le reste de la lettre était de cette dureté.

Marguerite, le lendemain, dès le matin, alla voir sa mère. Madame d’Arzac la reçut avec une extrême froideur. En vain Marguerite lui dépeignit tous les chagrins qu’elle avait éprouvés depuis son retour à Paris, les efforts qu’elle avait faits pour vaincre cet amour qu’elle se reprochait comme un crime ; en vain elle lui parla de Robert avec la tendresse la plus touchante, avec l’enthousiasme le plus éloquent, madame d’Arzac ne voulut ou ne sut rien comprendre.