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OU DEUX AMOURS

de Meuilles confuse… Les enfants sont de terribles faiseurs d’épigrammes.

— Tais-toi ! dit-elle, c’est un grand secret ; n’en parle pas.

— Oh ! quel bonheur ! je l’aime tant, lui !…

Et Gaston courut embrasser Robert.

Marguerite, heureuse, essuya ses yeux pleins de larmes : elle trouvait un dédommagement dans l’approbation de son fils ; le consentement de son enfant remplaçait du moins celui de sa mère. Mais elle l’obtiendrait aussi bientôt celui-là, et même encore celui d’Étienne ; ne l’avait-il pas dit : « L’amour est involontaire !… » Étienne lui pardonnerait, Étienne se consolerait ; qui sait ? peut-être, il épouserait un jour… il épouserait Teresa… et Marguerite ne serait plus pour lui qu’une sœur chérie.

Tout s’arrangerait, tout se concilierait, elle en était sûre, et il fallait bien que tout s’arrangeât pour le mieux ; car il fallait qu’elle fût heureuse, et elle ne pouvait pas s’imaginer qu’un pareil bonheur fût troublé… Après tant de combats, tant de fausses résolutions prises à contre-cœur, rentrer dans le vrai de sa nature… c’était si doux !… Au lieu de lutter contre le vent, d’aller contre le flot, se laisser porter par la brise et descendre le cours mollement… quelle fête ! Marguerite était comme ces pauvres arbres voisins d’une maison qu’on bâtit, arbres précieux qu’on ne veut point abattre et qu’on protège avec soin, mais dont on courbe les rameaux, qu’on attache avec des cordes pour qu’ils ne gênent point la manœuvre des travailleurs. Ils souffrent à la fois toutes les tortures ; leur tête baissée blanchit sous la poudre brûlante de la chaux ; leurs branches, violemment garrottées, luttent en même temps contre le vent qui les secoue et contre les liens qui les retiennent ; jusqu’à ce qu’enfin, la maison terminée, on détache les cordes et on les délivre… alors, leur tête fatiguée se relève et se balance avec orgueil dans l’air, leurs bras meurtris s’étendent avec complaisance, et la brise joyeuse, agitant leur feuillage, chasse au loin cette poussière calcinée qui les faisait mourir.

Ainsi Marguerite avait souffert dans ces liens qu’elle chérissait, mais qui étaient contraires à ses instincts. En vain son cœur l’entraînait vers Robert, elle refusait d’obéir à son cœur. Tous ses sentiments étaient faussés par ses volontés ; elle souf-