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OU DEUX AMOURS

Marguerite n’osait le regarder.

— Emmenez-vous votre sœur ? lui demanda-t-elle.

— Oui, madame.

— Elle sera contente de revoir son pays.

Marguerite était inquiète de savoir si Robert allait rejoindre la duchesse de Bellegarde.

— Mais je ne vais pas en Italie, répondit-il d’un air fâché.

— Ah ! je croyais…

— Vous n’avez pas le droit de me faire cette injure, madame. Vous pouvez me sacrifier, mais vous devez au moins croire en moi, et vous savez bien que, dans le désespoir où je suis, je ne peux pas aller en Italie.

— Le désespoir !… répéta-t-elle, et elle leva les yeux sur lui. Elle resta muette et troublée. La vue de Robert lui fit mal. Oh ! il n’avait pas besoin d’affirmer qu’il avait souffert, la plus véritable douleur se lisait sur son visage ; le désespoir se trahissait dans son maintien. Ce n’était plus ce jeune merveilleux, mis avec tant de recherche, si élégant, si mondain, qui semblait défier l’envie ; c’était un pauvre jeune homme sans prétention, sans espoir de plaire, qui ne songeait plus à faire valoir ses avantages, qui avait rompu avec toutes les vanités. Ses cheveux en désordre, sa cravate à peine attachée, cette tenue de voyageur qui faisait songer aux adieux, donnaient à toute sa personne un air de tristesse et d’abandon plein de charmes. Il était bien plus beau ainsi que dans ses parures d’homme à la mode ; ce découragement modeste, cette humilité d’un amour dédaigné chez ce héros d’aventures brillantes était une grâce nouvelle. Marguerite le regardait, étonnée, attendrie ; jamais Robert ne lui avait paru plus séduisant ; et sans comprendre elle-même ce qu’elle lui disait ni à quelle idée elle répondait en lui parlant,

— Alors pourquoi cette lettre ? dit-elle ; cette lettre si…

— Stupide ! interrompit M. de la Fresnaye, et si froide ! Pour être reçu, il fallait bien l’écrire ainsi ; une vraie lettre qui vous aurait parlé de mes vrais sentiments m’aurait valu encore un refus… et je tenais à vous revoir…

Marguerite eut un mouvement de joie qu’elle voulut réprimer, mais qu’elle n’essaya même pas de cacher.