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MARGUERITE

qu’un matin on lui remit cette étrange lettre, signée Robert de la Fresnaye :

« Vous aviez raison, madame, de me dire que vous sauriez bien me forcer à partir. Je partirai ce soir ; mais avant de vous quitter, peut-être pour longtemps, je voudrais solliciter de vous une faveur ; c’est au nom de Gaston que je la demande. Me permettrez-vous d’avoir l’honneur de vous porter aujourd’hui ma requête et de vous faire mes adieux ?

» Veuillez agréer, je vous prie, madame, mes respectueux hommages. »

L’écriture de cette lettre était admirable, moulée, burinée ; les pleins et les déliés en étaient formés avec une régularité parfaite, d’une main ferme et exercée ; on aurait dit un exemple d’écriture ; il n’y manquait qu’une guirlande d’oiseaux et une flèche menaçante pour terminaison coquette.

Madame de Meuilles se sentit offensée de la pédanterie de ce style et de la beauté de cette écriture. Il y avait jusque dans la pureté du cachet quelque chose de net, d’officiel, d’administratif qui était un langage. Cela signifiait : Tout roman est fini entre nous… Marguerite fit répondre qu’elle serait chez elle toute la journée et qu’elle le recevrait. Ah ! elle pouvait bien le recevoir sans crainte ; un monsieur qui écrivait des lettres comme celle-là n’était plus dangereux ; elle était rassurée, mais aussi elle était plus triste : il lui semblait qu’elle venait de perdre un dernier espoir.

Vers trois heures, elle était dans son salon et elle attendait Robert. La pensée de cet adieu lui serrait le cœur, et pour expliquer ce reste d’attendrissement après cette lettre si froide, elle évoquait le souvenir de Gaston et s’imaginait regretter seulement l’homme qui avait sauvé son fils. Elle se demandait avec curiosité quelle était cette faveur sollicitée par M. de la Fresnaye. « Il part, est-ce qu’il veut me prier de lui écrire ? Mais non, il doit bien comprendre que… que c’est impossible. »

Elle entendit marcher, ouvrir la porte… « Le voilà !… » Et son cœur battit avec violence. « Je l’aimais ! je l’aimais ! » se dit-elle ; et les larmes lui vinrent aux yeux.

— Enfin, madame, dit Robert en entrant, vous voulez bien me recevoir, et il faut pour cela que je parte le soir même !