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OU DEUX AMOURS

large ruisseau ; il n’avait pas l’air d’un ami qui vient de prendre sur les genoux de sa mère l’enfant chéri de la maison.

Mais Étienne ne pouvait aimer Gaston, qui lui rappelait le premier mariage de Marguerite, son plus affreux chagrin, qui lui rappelait M. de Meuilles, qu’il détestait. Robert pouvait l’aimer, lui, cet enfant ; Robert ne connaissait Marguerite que depuis son mariage ; il n’avait jamais vu M. de Meuilles ; Gaston ne lui rappelait que Marguerite, et il l’aimait parce qu’il avait les yeux et les cheveux de sa mère. La position était bien différente.

Madame d’Estigny vint le soir ; Marguerite, entre Étienne et madame d’Arzac, lui parut gardée comme dans une forteresse. Elle comprit que la malheureuse jeune femme restât sans force, opprimée par la confiance respectable de l’un et l’autorité implacable de l’autre. Madame d’Arzac avait si bien persuadé à Étienne que depuis qu’il s’était battu pour elle, Marguerite l’adorait, qu’Étienne était plein de foi. Il était heureux d’une manière désespérante. Il n’y avait pas une femme capable de lui dire cruellement et sans remords : « Votre joie est une erreur, on ne veut pas de vous ! » On l’aurait tué sur l’heure. Marguerite, qui l’aimait, pouvait-elle avoir ce courage !… On avait dit à Étienne que M. de la Fresnaye était parti, que pouvait-il craindre ?

Madame d’Estigny était venue aider Marguerite à lutter contre eux, mais elle s’avouait elle-même hors d’état de les combattre ; elle se retira mécontente, désespérée. « Lui seul pourrait tout changer, pensait-elle, mais il n’est pas là. » Le lendemain elle écrivit à M. de la Fresnaye pour l’engager à venir chez elle ; « elle avait à lui parler d’une chose qui l’intéressait, lui, sérieusement. » M. de la Fresnaye répondit qu’il était malade, mais qu’il ne partirait point sans aller prendre ses ordres. Il refusait de venir, il s’éloignait… il n’y avait plus d’espérance.

Plusieurs jours se passèrent et l’on n’eut aucune nouvelle de M. de la Fresnaye. Marguerite se demandait s’il n’avait pas droit d’être fâché contre elle. Elle pensait à envoyer chez lui Gaston de sa part : c’était une preuve de souvenir bien naturelle, et cette démarche n’avait rien de compromettant… lors-