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MARGUERITE

M. de la Fresnaye était venu le matin ; on lui avait répondu que madame de Meuilles passait toutes ses journées chez son oncle, et qu’elle ne serait pas visible avant cinq ou six jours. C’était la réponse imaginée par madame d’Arzac. « Dans cinq ou six jours il apprendra qu’elle se marie, il comprendra et il ne reviendra plus. »

En effet, la nouvelle du prochain mariage de madame de Meuilles avec son cousin se répandait déjà dans son monde à elle, et Robert fut un des premiers à qui on l’annonça.

Il ne voulut pas y croire ; il alla voir une troisième fois Marguerite : elle était sortie, lui dit-on ; il entra chez madame d’Estigny ; là du moins il aurait des renseignements certains. Madame d’Estigny avait vu madame d’Arzac le jour même, qui lui avait dit que le mariage était décidé. « Après ce duel, c’était probable, » dit madame d’Estigny, et elle n’osa rien ajouter : elle fut épouvantée de l’effet que cette nouvelle avait produit sur Robert : toute la passion de son âme était dans ses yeux ; il avait l’air d’un furieux qui va tuer son ennemi… Puis, au lieu de tuer, personne, il se mit à rire… mais d’un rire de théâtre anglais, d’un rire fou et méchant : « C’est impossible ! madame, » dit-il, et il s’en alla. Dès qu’il fut parti, madame d’Estigny monta chez Marguerite ; elle la trouva pleurant : Marguerite avait reconnu les chevaux de Robert, elle avait entendu qu’on le renvoyait.

— Elle pleure, pensa madame d’Estigny, je m’y attendais. Ma chère Marguerite, vous m’inquiétez, dit-elle avec l’accent d’une véritable affection. Vous avez l’air bien malade ; sortir tous les matins, par ce froid, cela ne vaut rien pour vous.

— Je suis restée chez moi aujourd’hui, répondit Marguerite.

— Ah ! je croyais… quelqu’un m’a assuré être venu pour vous voir et ne vous avoir pas trouvée… Oui, M. de la Fresnaye vous a demandée, et on lui a répondu que vous n’étiez pas chez vous.

— Vous l’avez vu ? dit Marguerite.

À peine eut-elle la force d’articuler ces mots.

— On lui avait appris votre prochain mariage. Il n’y croit pas.

— En vérité, il a raison. Je serai morte avant d’être mariée.

— Ayez le courage d’être heureuse, et n’ayez plus ces