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MARGUERITE

laisserez-vous périr votre chevalier ? Ne récompenserez-vous point sa valeur ?…

Étienne, impatienté par cette plaisanterie de son père, lui faisait signe de ne point presser Marguerite ; mais le vieillard ne voulait pas le comprendre.

— Que vous fassiez languir ce jeune soupirant, c’est pardonnable encore ; mais que vous fassiez languir un pauvre vieillard comme moi, c’est cruel… Allons, coquette, décidez-vous ! à quand la noce ?

Marguerite était tremblante et oppressée. L’attente pleine d’angoisse de sa mère, la prière de ce vieillard qu’elle avait failli priver de son fils, et surtout la joie charmante d’Étienne, agissaient sur son cœur et l’entraînaient malgré elle ; quel obstacle raisonnable opposer à ces souhaits si vifs, à cette supplication si puissante ? le souvenir d’un étranger, c’était bien peu de chose ; à peine en ce moment l’image de Robert se présentait-elle à sa mémoire. Fallait-il désespérer trois personnes qui la chérissaient pour un inconnu qui dédaignerait peut-être bientôt ce grand sacrifice ? Fallait-il immoler des affections profondes, naturelles, légitimes, éprouvées, à un amour éphémère, sans passé, sans avenir, sans droits ? Pouvait-elle dire à ce père : « On tenait sur moi et sur deux jeunes gens qui m’aiment des propos indignes qui ont amené un duel ; l’un de ces deux jeunes gens, qui est votre fils, s’est battu pour moi… j’épouserai l’autre ? » Pouvait-elle dire a sa mère : « Je vous brave ! celui que vous haïssez sera mon mari ? » Pouvait-elle dire à Étienne : « Je ne vous aime pas ?… » Non… Elle se laissa donc entraîner par la force de la situation, et lorsque son oncle lui répéta cette question décisive : « À quand la noce ? » elle répondit :

— Quand vous voudrez.

— Alors dès qu’Étienne sera guéri.

— Je suis guéri ! s’écria Étienne en se levant comme un fou et en jetant par terre ses oreillers et ses coussins ; je ne veux plus de cet attirail de malade, je ne veux plus souffrir ! Vous entendez, Marguerite, je ne veux plus souffrir !

— Heureux âge où l’on déclare qu’on ne veut plus souffrir ! dit le vieux comte. Viens m’embrasser, ma chère nièce… ou