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OU DEUX AMOURS

— C’était possible, reprit-il, tant que ma blessure encore douteuse pouvait alarmer, mais aujourd’hui que je suis hors de danger, il faut être sincère… Vous n’avez plus le droit de m’abuser pour me guérir.

— J’ai le droit de guérir une blessure qu’on a reçue pour moi, reprit-elle.

— Comment ! s’écria-t-il, qui vous a appris… Et la joie brillait dans ses yeux ; puis il s’attrista de nouveau et dit avec une noble inquiétude : — Marguerite, il ne faut pas que cela vous engage ; c’est comme votre parent, comme votre cousin que j’ai pris parti pour vous. M. de Meuilles vivrait encore, que j’aurais agi de même.

Marguerite, profondément touchée de cette délicatesse, tendit la main à Étienne en disant : — Soignez-vous, soyez docile, songez que votre blessure est un remords pour moi ; tant qu’elle ne sera pas guérie, je me la reprocherai comme un crime.

— Ah ! si vous m’aimiez, je guérirais tout de suite !

— Allez, dit-elle, il faut que je vous aime bien ! sans cela… Elle n’acheva pas et rougit vis-à-vis d’elle-même de son étrange pensée. « Sans cela… je me déciderais pour un autre que j’aime aussi… » Voilà ce que — sans cela — voulait dire, et c’était plaisant ; et ce qui fut encore plus extraordinaire, c’est que ce mot naïf rendit à Étienne toute sa confiance.

« C’est vrai, se disait-il, si elle ne m’aimait pas, elle accepterait franchement l’amour de Robert : il est plus beau, plus riche, plus élégant que moi ; à la place de Marguerite, toute autre femme se serait depuis longtemps décidée en sa faveur ; qu’est-ce donc qui la retient ? c’est qu’elle m’aime, il ne peut pas y avoir d’autre raison. » Et Étienne, le front radieux, regardait Marguerite avec reconnaissance et bonheur.

Tout à coup, elle entendit près d’elle une voix qui disait :

— Méchante femme, me rendras-tu enfin mon fils ?

C’était le vieux comte d’Arzac qui s’était traîné jusqu’au fauteuil d’Étienne et qui venait implorer Marguerite.

— Femme sans cœur, continua-t-il, ne seras-tu pas attendrie par ce spectacle si touchant : un goutteux priant pour un blessé ! Cette scène d’hôpital ne te causera-t-elle aucune émotion ? Mon fils a manqué de se faire tuer pour vous, madame,