Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
MARGUERITE

marier ; on s’occupe de vous depuis quelque temps, peut-être beaucoup trop ; on prononce trop souvent deux noms avec le vôtre ; on sait que deux jeunes gens spirituels, aimables, veulent vous épouser et se disputent votre préférence ; l’heure est venue de choisir entre eux. Je n’ai pas les préventions de votre mère ; j’aime Étienne de tout mon cœur, mais je trouve M. de la Fresnaye très-séduisant, très-distingué, et je comprends parfaitement qu’une femme comme vous le choisisse ; ainsi je suis tout à fait impartiale : que vous préfériez l’un ou l’autre, je vous approuverai également ; je ne vous dis donc pas : Choisissez celui-ci ou celui-là ; je vous dis : Choisissez celui que vous voudrez, mais choisissez-le tout de suite. Le monde n’aime pas à s’occuper si longtemps de la même personne. Il n’est pas très-méchant tant qu’on l’amuse, mais du moment où on l’ennuie, il devient impitoyable. Que voulez-vous, ma chère, c’est un public impatient, il s’irrite des dénoûments qui traînent, et quand une scène n’en finit pas, il la siffle.

— Vous avez raison, et je vous remercie, répondit Marguerite avec douceur.

Ces avis, dictés par l’amitié et donnés sans exagération, lui rendirent un peu de confiance ; ils eurent plus d’influence sur elle que les ordres impérieux de sa mère ; ils amenèrent un résultat important : ils la décidèrent à se décider ; mais pour qui ? c’était là le mystère.

Madame d’Arzac revint chercher Marguerite, qui passa la journée avec elle chez son oncle. Étienne était plus souffrant, il avait la fièvre ; le médecin était inquiet. Et puis Étienne était triste, ennuyé ; il avait l’air d’un malade qui ne veut pas guérir,

— Grondez-le donc, je vous en prie, madame, dit le médecin à Marguerite ; il ne m’écoute pas. Sans doute il sera plus docile à vos conseils.

Madame de Meuilles, qui causait avec son oncle, se leva et vint s’asseoir près d’Étienne.

— Est-ce vrai que vous m’écouterez, moi ? dit-elle avec son sourire plein de charme.

— Non, répondit-il, ne me dites rien, je ne veux pas que vous me trompiez par pitié.

Marguerite se troubla.