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OU DEUX AMOURS

allait mourir dans ce climat tempéré, dans ces régions de modération et de famille où l’on voulait le transplanter. À des raisonnements si justes, elle ne pouvait répliquer. À une autorité si sainte, elle ne pouvait rien opposer. Il n’y avait qu’un mot pour détourner de telles menaces, pour expliquer l’audace de la rébellion, si elle avait eu le courage de la rébellion ; mais ce mot magique, elle ne pouvait pas le prononcer : « Je l’aime !… » Elle ne pouvait dire à sa mère : « Cet homme que vous haïssez, que vous méprisez, que vous chassez, cet homme-là, je l’aime !… » Dans une scène de famille, et contre des raisonnements de convenances, comme cette toute-puissance de l’amour disparaît ! Dites donc à un oncle en courroux, à un tuteur pédant, qui vous parlent chiffres et contrats, à une mère qui vous parle ménage, dites-leur donc avec inspiration, foi, exaltation : « Je l’aime !… » Ils s’écrieront : « Je l’aime, je l’aime ! ce n’est pas répondre ! » Et si vous persistez, ils vous jetteront ce trait mordant stéréotypé dans toutes les familles : « Eh ! ma chère, si vous aimez celui-là, vous en aimerez bien un autre ! »

Madame d’Arzac quitta sa fille ; mais elle devait revenir au bout de quelques instants pour la mener chez M. d’Arzac, le père d’Étienne. Marguerite, restée seule, se révolta contre cette tyrannie qu’elle n’osait pourtant pas braver, et le résultat de cette révolte fut qu’elle ne se marierait point, qu’elle ne verrait plus Robert, mais qu’elle resterait libre. « Je ne ferai pas ce que je veux, mais on ne me forcera pas à faire le contraire ; je vivrai seule, et je serai du moins maîtresse de mes pensées. »

Madame d’Estigny fit demander à la voir. Marguerite la reçut, et cette visite fut encore une épreuve qu’il lui fallut supporter. L’épreuve était moins pénible, mais aussi fut-elle plus décisive. Madame d’Estigny parla du duel avec de grands ménagements et en donnant à cette affaire moins d’importance que ne l’avait fait madame d’Arzac ; mais elle reconnut que ce duel forçait Marguerite à se décider.

— Moi, ma chère enfant, disait-elle, je ne vous dirai point, comme votre mère : Il faut épouser votre cousin, le bonheur est dans ce mariage-là pour vous… Je vous dirai : Il faut vous