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MARGUERITE

— Oui, continua madame d’Arzac encouragée par cet effroi, Étienne était moins bien ce matin ; tu lui as fait beaucoup de peine hier soir ; il t’a trouvée préoccupée, d’une tristesse désolante, et il a très-bien compris que tu avais revu son rival et que tu étais retombée sous son empire.

— Mon Dieu ! s’écria Marguerite.

— Écoute-moi, mon enfant, et crois-en mon instinct de mère : cet homme te sera funeste ; cesse de le recevoir… pendant un mois ; laisse-toi guider par nous, qui t’aimons, qui t’aimons, va… mieux que personne ! — et elle appuya sur ce mot ; — et tu verras que cet empire n’est qu’une influence passagère ; que cette amourette de hasard, de salon, n’a aucune racine dans ton cœur, et avant un mois tu riras toi-même de tes rêveries chimériques, de cette puissance fatale qu’un inconnu a la prétention d’exercer sur toi… Oui, tu ne comprendras même plus ce qui l’a fait naître ni sur quoi elle était fondée. Est-ce demander trop ? Je n’exige de toi que ce sacrifice. Reste un mois sans recevoir ce monsieur, Marguerite ; il y va de ton repos, du mien. Ne peux-tu faire cet effort pour calmer toutes mes inquiétudes ? Je t’en prie, je t’en conjure ! me refuseras-tu cela, Marguerite ?

— Mais alors je ne recevrai personne…

— Personne, soit ; je serais si contente de ne plus le voir, que je me résignerais à vivre dans un désert.

— Mais il faudra lui écrire !

— Lui écrire ? non. Laisse-moi faire : il viendra deux fois, on lui dira que tu n’es pas visible, et je t’en réponds, moi, il ne reviendra plus.

— Je ferai ce que vous exigez, ma mère.

— Embrasse-moi… je suis contente de toi, et je te promets de le saluer très-gracieusement la première fois que je le rencontrerai.

Quelle consolation touchante ! chassé indignement par la fille, mais salué très-gracieusement par la mère !

Marguerite garda le silence, vaincue par un affreux chagrin. Ces paroles de sa mère étaient tombées sur son cœur et sur son amour comme une pluie froide et l’avaient glacé ; elle comprenait que cet amour, qui vivait de poésie et d’ardeur,