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OU DEUX AMOURS

toi, après le scandale dont elle a été la cause, car elle seule est cause du duel… Tes étranges hésitations l’ont amené, mais qui a amené ces hésitations si offensantes pour celui que tu avais d’abord choisi et dont tu avais accepté l’amour ? qui a fomenté ces troublés ? c’est cet homme fat et méchant que je ne veux pas même nommer… Eh bien, si tu le reçois encore, malgré mes avis, malgré le désespoir d’Étienne, malgré les promesses faites par toi à son père, malgré tout, je cesserai, moi, de venir dans cette maison. Je ne veux plus rencontrer cet homme ! Son insolente figure me déplaît, je le trouve ridicule, sot, impertinent, et je ne comprends pas comment un pareil faquin a pu trouver accès auprès de toi.

— Il a sauvé la vie de mon fils ! répondit Marguerite avec courage.

— Beau mérite ! tout le monde en aurait fait autant ; si Étienne avait été là, il aurait fait mieux.

— Avec cette manière de juger, on pourrait dire aussi qu’un autre se serait battu à la place d’Étienne.

— Oui, et qu’il aurait tué son homme, n’est-ce pas ?

— Oh ! ma mère, je ne dis pas cela ; mais si vous voulez que je sois raisonnable… soyez juste… Engagez-moi à épouser mon cousin, si vous croyez que son affection puisse assurer notre bonheur à tous ; mais ne m’ordonnez pas de chasser de chez moi l’homme qui a sauvé mon enfant.

Marguerite avait des larmes dans la voix en parlant ainsi. Madame d’Arzac comprit qu’elle avait été trop loin.

— Mon Dieu ! dit-elle, je ne demande pas qu’on le chasse à jamais : je veux seulement que, pendant quelque temps, tu évites de le recevoir, et que tu me prouves enfin que ce n’est pas sa fatale influence qui t’empêche d’épouser Étienne ton cousin, que tu aimes, que tu aimais du moins, et que tu avais choisi. Comment veux-tu que je lui pardonne, à ce monsieur, d’avoir, d’un mot ou d’un regard, — ils sont pourtant bien durs, ses regards ! — d’avoir détruit tous nos projets, bouleversé notre avenir, réduit au désespoir Étienne, et amené cette affaire scandaleuse, ce duel qui pouvait coûter la vie à ce pauvre enfant et qui la lui coûtera peut-être…

Marguerite leva sur sa mère des yeux inquiets.