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MARGUERITE

s’arrêta prudemment, et, avec sa présence d’esprit habituelle, elle répondit très-adroitement : — On a bien été forcé d’en convenir, puisque je l’avais deviné ; mais, ma chère enfant, ce duel ne sera bientôt plus un secret pour personne : déjà madame d’Estigny m’en a parlé ; — c’est elle qui en avait parlé à madame d’Estigny ! — ce bruit va se répandre dans tout Paris, tu seras compromise, cela te fera le plus grand tort. Sois raisonnable, ma fille… Dans l’intérêt de ta réputation et de ton bonheur, il faut te décider à annoncer ton mariage avec Étienne tout de suite ; alors on apprendra le duel, la cause du duel et le mariage en même temps, et le scandale sera évité ; sinon les propos changeront de nature, et qui sait si ce pauvre Étienne ne sera pas obligé de se battre une seconde fois pour ton honneur…

Cette idée, qui était bizarre, épouvanta madame de Meuilles ; elle devint rêveuse, et sa mère, jugeant le moment opportun, lui déclara formellement sa volonté. — Quant à moi, continua-t-elle, tu le sais, ton mariage avec Étienne est mon désir le plus cher ; ce mariage te laisse toute à moi, il me semble que tu épouses mon fils ; tu es deux fois ma fille. Un autre mariage me désolerait, j’y donnerais mon consentement parce que jamais je ne serai un obstacle à tes souhaits ; mais un autre mariage, je te le répète, ferait le chagrin, de ma vieillesse. Je ne crois, moi, qu’à l’amour d’Étienne, qu’à l’affection d’Étienne. On ne me séduit pas, moi, avec une comédie de sentiment bien improvisée, et six semaines d’œillades ne valent pas pour moi deux ans de soins, sept ans de dévouement à toute épreuve. J’aime Étienne, tu es engagée a lui, et tu ne peux sans déloyauté reprendre la parole que tu lui as donnée ; il te la rend, il veut te la rendre, soit ; sa délicatesse lui ordonne peut-être d’agir ainsi, mais la tienne te commande, à toi, de refuser cette liberté qu’il vient t’offrir, parce que tu sais bien qu’il se fait violence en te l’offrant ; Marguerite, ce n’est pas une raison, parce qu’il veut être généreux, pour que tu sois ingrate et cruelle. J’espère qu’une autre idée, qui serait une idée malheureuse, folle, impardonnable, n’est pas entrée dans ta tête ; mais, en tout cas, je te déclare que si la personne à laquelle je fais allusion revient encore ici, chez