Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
157
OU DEUX AMOURS

chez son oncle, et qu’il valait mieux attendre un autre moment pour, avouer à Étienne qu’elle était instruite de la vérité.

Mais quel chagrin ! quelle situation misérable ! Connaître, une noble action et feindre de l’ignorer ! traiter comme un malade ordinaire un brave jeune homme qui s’est battu et qui est blessé pour vous ! et s’avouer tout au fond de son cœur que si un autre avait été blessé à sa place, on n’aurait ni cet embarras ni cette ingratitude ; c’était cruel, il y avait là de quoi rougir.

Et cependant, l’amour est l’amour ; on n’aime pas quelqu’un pour les services qu’il a pu vous rendre ; on aime avec sa nature et ses impressions, et non avec sa reconnaissance et ses souvenirs. Si un faisan avait sauvé la vie à une colombe, elle ne se croirait pas obligée de l’épouser ; elle lui préférerait un simple ramier qui n’aurait fait que roucouler, mais qui aurait cet avantage d’être un ramier. Alors pourquoi demander à l’amour d’autres droits que son attrait même ? — Ah ! c’est un des privilèges de l’état social : on veut bien se permettre d’aimer, mais on veut savoir pourquoi ; et l’on exige, en fait d’amour comme en fait de projets de loi, un exposé des motifs. Hélas ! presque toujours on en trouve.



XIX.

Voici ce que madame d’Arzac inventa : elle prit sur elle de forger un mensonge ; voyant Marguerite toujours préoccupée, devinant les nouveaux combats qui se livraient dans son âme, elle imagina de lui dire qu’Étienne s’était battu pour elle, pour la défendre des propos que sa conduite, étrange et coupable en apparence faisait tenir contre elle !… et ce mensonge, imaginé à grand’peine, se trouva être la vérité. Mais ce qu’il y eut de singulier, c’est que Marguerite, prise, au piège, s’écria :

— Comment le savez-vous ?

— Ah ! c’est donc vrai ? allait dire madame d’Arzac… Elle