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MARGUERITE

— C’était son droit, reprit Robert avec tristesse.

— Il ne m’en a rien dit !…

— Ah ! madame, ce n’était pas à lui de vous le dire.

— Était-ce à vous ?

— Sans doute, je suis incapable de nier un avantage parce que je l’envie. Ah ! il a dû être bien heureux !… et je suis sûr qu’il a pensé à moi en se battant, ajouta Robert ; il a pensé à moi autant qu’à vous. »

Marguerite leva les yeux sur Robert, et l’expression de sa physionomie lui serra le cœur : Robert avait l’air profondément découragé ; cet homme superbe se sentait désarmé, c’était lui que ce duel avait tué.

Marguerite ne pouvait se rendre compte de ses impressions ; mais, en apprenant que c’était pour elle qu’Étienne s’était battu, elle n’avait pas éprouvé cet élan de reconnaissance qu’une telle preuve d’amour méritait ; elle était obligée de se raisonner pour lui en savoir gré dans sa pensée ; certes, c’était pourtant un dévouement chevaleresque qui devait la toucher ; mais Robert enviait ce dévouement avec tant de grâce ! c’était si généreux à lui d’avoir appris à Marguerite la vérité !… Sans lui, elle n’aurait rien su… et Robert était si malheureux de l’avantage que cet événement donnait sur lui à M. d’Arzac, que Marguerite… c’était bien injuste… se sentait plus d’admiration pour celui qui lui révélait noblement la belle action d’un autre que pour l’homme qui avait fait cette belle action, et éprouvait moins de pitié pour celui qui venait d’être blessé à cause d’elle que pour l’infortuné qui enviait si ardemment la blessure !…

Il était bien adroit, cet affreux Robert ; mais, quelle que fût son habileté, elle ne valait pas celle de madame d’Arzac, et il devait être battu par elle.

Marguerite, en revoyant Étienne le lendemain, se trouva lâche, ingrate ; elle eut honte d’elle-même ; elle aurait voulu lui dire : « Je sais que vous m’avez défendue ; ma vie entière sera consacrée à récompenser ce sacrifice… » Mais elle comprenait que dire : « Je sais… » c’était s’engager, c’était tout promettre, et elle n’était pas en état de rien promettre sincèrement. Elle se persuada qu’il y avait trop de monde ce soir-là