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OU DEUX AMOURS

duel : Étienne lui raconta qu’il s’était battu avec un étranger à la suite d’une discussion politique à propos de la reine d’Espagne ; c’était à l’époque des fameux mariages espagnols.

Madame d’Arzac supposa naturellement qu’un hidalgo avait pris la défense de sa jeune reine, et on lui laissa croire tout ce qu’elle imagina. On lui recommanda le secret : il fallait étouffer l’affaire par crainte des tribunaux ; on convint d’un récit assez probable, on parla d’un accident arrivé en faisant des armes ; le duc de R…, aussi blessé, mais plus légèrement, alla le soir même à l’Opéra pour détourner les soupçons, et comme le duc était très-protégé, la police ferma les yeux sur cette affaire, qui du reste n’avait eu aucun résultat fâcheux.

Rassurée sur la vie de son neveu, madame d’Arzac vit avec plaisir le parti qu’elle pouvait tirer de cet événement pour entraîner Marguerite en faveur d’Étienne. Cependant elle était assez embarrassée. Elle voulait produire un grand effet avec sa nouvelle dramatique ; mais, d’un autre côté, elle ne voulait pas donner une trop forte émotion à sa fille, dont la santé l’inquiétait toujours. Elle composa son visage et dit :

— Je quitte à l’instant Étienne ; il m’a chargée de t’exprimer ses regrets : il ne pourra pas venir te voir avant deux ou trois jours.

— Il est malade ?

— Non.

— Il est blessé ?

— Ce n’est rien.

— Il est tombé de cheval ?

— Non, il s’est battu pour une niaiserie.

— Mais il est blessé ?

— À la main ; il pourra sortir dans deux jours.

— Je vais aller le voir… et avec qui s’est-il battu ?

— Avec un Espagnol qui s’est imaginé qu’on voulait insulter sa reine.

— Ce n’est pas possible ! Étienne, attaquer une femme… avec assez d’acharnement pour qu’on lui en demande raison ? Je ne crois pas à cette histoire-là.

— Ah ! ces Espagnols sont si chatouilleux !

Marguerite alla chez son oncle voir Étienne. Elle devinait