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OU DEUX AMOURS

l’un… parce qu’elle l’aime… et l’autre… parce qu’elle ne l’aime pas !

— Mon cher enfant, un raisonnement comme celui-là, appuyé sur une canne comme celle-ci, qui t’a coûté la rançon d’un roi, cela suffit pour te faire interdire par tes parents.

Et le duc de R… montra à ses amis la canne du jeune fou, qui était d’une magnificence ridicule.

— Quand je t’écoute, ajouta-t-il, j’ai toujours envie d’aller chez le docteur Blanche, délivrer Édouard… J’ai l’air de dire une folie, mais ce que je dis là est très-fort.

— Oh ! très-fort !

— Non, ce n’est pas cela ; elle n’aime pas l’un par amour et l’autre par pitié ; elle aime l’un malgré elle, et l’autre, volontairement ; c’est ce qui fait qu’elle est si troublée ; elle croit aimer Étienne et elle ne l’aime pas ; elle croit détester Robert et elle l’aime, voilà la vérité. Cette lutte rend la situation très-piquante. Je suis bien curieux de savoir comment cela finira.

— Je vais te le dire…

— Elle les jouera à pile ou face !

— Tais-toi, jeune homme, tu as perdu la parole : cela finira ainsi : elle épousera Étienne et elle prendra Robert pour…

— Non, elle épousera Robert, et Étienne sera son…

— Non, elle n’épousera ni l’un ni l’autre : il en viendra un troisième qui les mettra tous les deux à la porte.

— Ah ! vous ne connaissez pas Robert de la Fresnaye ! ce n’est pas lui qui abandonnera jamais une idée ! aussi, j’ai parié pour lui et je gagnerai. D’abord, Étienne mérite de perdre, et il est de notre intérêt à tous, messieurs, qu’il soit battu : ce sera bien fait. Pourquoi ce troubadour de pendule s’avise-t-il de ressusciter le parfait amour moyen âge ?… c’est d’un très-mauvais exemple, ça gâte les femmes. Si ce héros de vieux roman réussit, nous sommes tous perdus, il va faire école ! Ces dames voudront toutes être aimées comme cela. Savez-vous bien qu’il y a sept ans que ce niais soupire pour sa cousine…

— Sept ans ! s’écria le prince de G… indigné. Eh ! que parles-tu d’amour moyen âge, renouvelé des troubadours ? Ceci est bien autrement vieux ! c’est un amour antédiluvien,