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MARGUERITE

Il lui donna une poignée de main, ouvrit la porte et sortit.

— Faites demander votre philosophe, dit tout bas Robert à Marguerite ; j’ai envie de faire graver sur une plaque à ma porte : « Sonnette du philosophe, » et vous m’enverrez chercher toutes les fois….

— Que je m’ennuierai, interrompit-elle en élevant la voix pour qu’Étienne l’entendît, car vous êtes le plus aimable rieur que je connaisse.

— Allez, c’est beau à moi de rire aujourd’hui….

— Je le sais, dit-elle… Et elle se repentit d’avoir dit cela. C’était avouer qu’elle devinait sa souffrance, c’était accepter son amour.

Robert rejoignit Étienne dans l’antichambre, et tous deux s’observèrent avec inquiétude. Ils étaient redevenus tristes et soucieux, n’ayant plus personne à distraire. Ils descendirent ensemble l’escalier sans se parler ; mais l’un et l’autre avaient la même pensée. Étienne se disait : « Il est frappé aussi… il la trouve, comme moi, bien malade ! »

Robert se disait : « Pauvre jeune femme ! nous la tuons ! Il faut que tout cela finisse. »

Marguerite, attentive, écoutait ; elle entendit la porte cochère se refermer sur eux ; elle craignait qu’une circonstance fâcheuse, un hasard, ne fît éclater cette malveillance qu’ils avaient jusqu’alors si courageusement maîtrisée ; mais ses craintes n’étaient pas fondées. Étienne et Robert ne se haïssaient point ce soir-là ; ils s’entendaient, au contraire, comme deux amis, comme deux parents ; ils avaient, pour quelques heures, le même intérêt : la sauver ; le même effroi : la perdre… Marguerite n’était plus pour eux cette proie désirée qu’ils se disputaient avec tant d’ardeur ; c’était une victime menacée qu’il fallait défendre à tout prix, et chacun des deux comptait sur l’autre pour l’assister dans cette noble tâche. Bien loin d’être des ennemis, des rivaux, c’étaient des associés en sacrifice ; ils se faisaient, pour un jour, une sympathie de leur égal dévouement, une fraternité de leur commune inquiétude.