Il était déjà assez tard. On servit du thé. Marguerite voulut se lever et remplir ses devoirs de maîtresse de maison ; mais ses hôtes s’y opposèrent :
— Ils allaient faire le ménage, disaient-ils.
Ils apportèrent la table près du canapé sur lequel elle était étendue.
— Moi, dit Étienne, je fais le thé comme une jeune miss… comme la Lucile de Corinne.
— Moi, dit Robert, je fais les tartines comme la Charlotte de Werther.
— Voilà un thé bien littéraire, dit en souriant Marguerite.
— Ah ! s’écria Étienne en posant sa tasse de thé sur le plateau, ne mettez pas de cette crème ! elle est détestable.
— Envoyez-en chercher d’autre, Étienne, dit Marguerite ; sonnez !
— C’est inutile, madame, dit en riant M. de la Fresnaye ; à cette heure, il n’y a plus dans tout Paris que du lait rose : c’est l’heure des compositions chimiques.
— Rose ! rose ! dit Étienne, j’en ai vu de bleu…
— C’est rare, reprit Robert ; on obtient difficilement cette teinte pour de la crème.
— Si nous remplacions cette fausse crème par du vrai rhum ? dit Étienne.
— Ah ! si Théophile Gautier vous entendait !… il dirait que vous êtes bien une véritable jeune miss ! Il prétend que les jeunes Anglaises ne mettent jamais que du brandy dans leur thé ; que la crème, c’est pour les étrangers ; elles offrent de la crème aux hommes, dit-il, mais, elles… elles mettent de l’eau-de-vie.
— Avec votre vilain rhum, vous allez me griser, dit Marguerite.
— N’ayez pas peur, ma cousine, je suis là… dit Étienne avec finesse.
— Et moi aussi ! reprit Robert.
Et ils se mirent à rire tous les trois de cette situation si comique et cependant si grave.
Tout en prenant leur thé, ils disaient mille folies pour amuser madame de Meuilles. Robert racontait toutes sortes