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OU DEUX AMOURS

changée et avait une mine effrayante ; cette nuit de larmes, cette fièvre qui l’agitait encore, avaient altéré ses traits visiblement ; elle reconnaissait sa physionomie de malade qu’elle avait eue quelques mois auparavant et qui présageait de grands dangers pour sa vie… « C’est cela, pensa-t-elle, ils ont pitié de moi ! » Et elle rendit à Étienne le coffre qu’il lui avait apporté. En le posant sur la table, Étienne aperçut son album et ses crayons, et, tout en causant, il se mit à dessiner.

— Ma cousine, dit-il, je sais pourquoi vous êtes malade, et je vais vous guérir. Vous avez une passion au fond du cœur, que vous ne voulez pas avouer ; je vais vous jouer le tour qu’on a joué à Stratonice : je vais vous offrir le portrait de votre idole, et il faudra bien à sa vue que vous vous trahissiez.

Étienne, en quelques minutes, fit la caricature d’un grand officier suédois arrivé depuis peu à Paris et dont tout le monde se moquait pour son élégance exagérée. La caricature, très-bien dessinée, était frappante de ressemblance… Il l’apporta à Marguerite.

— Attendez, dit en plaisantant Robert, laissez-moi observer les impressions d’Antiochus ; j’aurais même le droit de compter les pulsations, mais ce n’est pas dans mon système.

Et il attacha sur Marguerite des yeux pénétrants.

À l’aspect de cette caricature, Marguerite se mit à rire. Étienne et Robert se regardèrent d’un air d’intelligence.

— Ce n’est pas lui, dit Étienne ; recommençons l’épreuve.

Robert prit un crayon à son tour et fit un portrait exact — ce qui se trouvait être naturellement une caricature — d’un de nos vieux élégants, le plus jeune sans ses ridicules. Robert n’avait pas le talent d’Étienne ; son dessin était naïf et même sauvage ; mais la caricature était si spirituelle, la pose gamine du vieillard était si comique qu’Étienne en fut enthousiasmé ; et ils passèrent ainsi une heure à dessiner toutes sortes de figures plaisantes, souvenirs des personnages grotesques à la mode en ce moment ; ils les montraient à Marguerite qui les nommait aussitôt, tant leur image était fidèle. Pendant qu’ils dessinaient, qu’ils causaient, qu’ils riaient ensemble, Marguerite les regardait avec émotion, et peu à peu un attendrissement invincible lui serrait le cœur.