Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
OU DEUX AMOURS

du lit de son fils et elle le regardait dormir. Là seulement elle retrouvait un peu de courage pour recommencer les combats de la journée.

Mais cet aveuglement ne pouvait durer toujours, l’excès même du supplice qu’elle endurait finit par la rendre lucide, et la vérité lui apparut dans toute sa laideur. Oh ! comme elle se méprisa ! comme elle se maudit ! Elle fut pour elle sans indulgence et sans pitié ; elle s’accusait de lâcheté, de perfidie ! « Mais je ne peux plus me faire d’illusion ! s’écriait-elle en tombant à genoux et en cachant dans ses mains son front humilié…, mais je suis une indigne créature, je suis une misérable ! Je les trompe tous les deux !… je les aime tous les deux !… »

Et le matin on la trouva sans connaissance au pied du lit de Gaston. Les sanglots et les cris de sa mère ne l’avaient point réveillé ! Heureux enfant ! insouciant dormeur ! dans quinze ans, toi aussi, tu inspireras des passions folles et tu feras pleurer les femmes !… dans quinze ans, tu le causeras à ton tour, ce désespoir qui maintenant te berce !



XVII.

Dès ce jour la résolution de Marguerite fui prise : ne plus voir Robert, ne plus voir Étienne. « Si je choisis l’un, je regretterai toujours l’autre, pensa-t-elle ; ce qu’il y a de plus sage, c’est de les fuir tous les deux. Je serai bien malheureuse, mais je serai honnête, c’est l’important, et je ne jouerai plus un rôle honteux. »

En amour, les résolutions héroïques sont toujours celles qu’on adopte, parce qu’elles sont impossibles à tenir. On les prend, et l’on satisfait sa conscience ; on les abandonne, et l’on contente sa faiblesse ; on se persuade que l’on a cédé à la force des choses.

Marguerite était malade ; sa mère seule eut le droit de pénétrer jusqu’à elle. Cet évanouissement, qui avait duré plus d’une