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MARGUERITE

on n’a pas le droit de dire : Aimez-moi ! L’amour ne se commande pas, il s’inspire… Dites loyalement que vous aimez Robert… Il vous aime… épousez-le… Si vous êtes heureuse, je lui pardonnerai…

À ce seul mot, « épousez-le, » Marguerite s’était sentie toute confuse ; épouser M. de la Fresnaye ! la seule idée d’être à lui la faisait rougir de honte et frissonner de peur… Hein, comme elle l’aimait !

— Étienne, répondit-elle, je vous épouserai, ou je ne me marierai jamais. Je subis une influence fatale dont je veux triompher et dont je triompherai, si vous ne m’abandonnez pas. Ayez confiance en moi ; je ne vous cache point ce que j’éprouve. Quand il est là…, il me semble que je l’aime… ; mais quand il est loin de moi, il me semble que je redeviens libre…, et, libre, je me donne à vous. Il y a une chose que je puis vous certifier, c’est que je pourrais vivre sans lui et qu’il me serait impossible de vivre sans vous. Souffrez encore un peu, avec patience… Bientôt je vous dirai : C’est vous que j’aime, emmenez-moi !

Certes, c’était là une existence charmante : être courtisée, aimée, adorée par deux hommes jeunes, beaux, distingués entre tous les élégants de Paris ; pouvoir choisir entre eux, se voir préférée par eux à toutes les femmes les plus séduisantes et les plus belles, il y avait là de quoi satisfaire un ambitieux orgueil, il y avait là de quoi rendre heureuse une coquette Célimène ! Mais cette existence, si charmante pour la vanité, était mortelle pour une sensibilité vraie et pour une honnêteté consciencieuse. Marguerite, dans cette atmosphère d’amour, languissait brûlée et dévorée. Le magnétisme rival de ces deux volontés qui lui commandaient tour à tour irritait ses nerfs déjà si faibles ; cette vie chaste qu’elle menait, entourée de passions, objet des plus tendres pensées, faisait bouillonner son sang et lui donnait une agitation invincible qui devenait dangereuse. Elle avait perdu complètement le sommeil ; elle passait la nuit à se promener dans sa chambre, essayant, par la fatigue, d’obtenir un repos forcé ; elle avait tâché de prier, mais elle priait si mal… c’était profaner la prière. Quand elle était lasse d’avoir marché longtemps, elle allait s’asseoir auprès