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MARGUERITE

guerite le droit et la liberté de choisir entre eux, il supprimait déjà le remords ; M. de la Fresnaye devenait un concurrent plus ou moins redoutable, mais ce n’était plus le séducteur fatal, le démon ennemi de la foi jurée. On ne tremblait plus quand il venait, il avait la permission de venir. On ne se cachait pas de l’avoir rencontré, on lui donnait franchement rendez-vous ; tout le côté dramatique de cet amour était ainsi retranché.

C’était déjà beaucoup ; ensuite, Étienne pensait que l’habitude de se voir sans obstacle et sans mystère rendrait moins vif le plaisir de se retrouver, et que M. de la Fresnaye, admis sans façon dans la maison comme plusieurs autres amis, finirait bientôt par perdre cette superbe position d’inconnu, cette fleur de nouveauté qui était son prestige : alors il pourrait lutter avec lui heureusement. « Il viendra un jour, se disait Étienne, où il faudra sr dévouer, un jour où celui qui aimera le plus sera le mieux accueilli : ce jour-là, Marguerite sera toute à moi ! »

Mais Robert avait vu le piège, il l’avait accepté, et sans s’y laisser prendre, il tournait autour adroitement pour qu’on n’eût pas l’idée de lui en tendre un autre plus ingénieux. S’il avait perdu malgré lui sa belle position de remords, il avait conservé son prestige d’inconnu. Il venait souvent, mais comme un étranger, sans familiarité, sans aucune bonhomie. Il était comme M. de G…, à qui l’on disait : « Que vous avez l’air froid et imposant ! on n’est jamais à son aise avec vous ! » et qui répondait : « Mais je ne tiens pas du tout à ce qu’on soit à son aise avec moi ! » M. de la Fresnaye chez madame de Meuilles, excepté pour Gaston, n’était cordial pour personne ; et, dans ses manières avec Marguerite, il y avait une froideur volontaire, un respect craintif et prudent qui la troublait bien plus que n’aurait fait une familiarité provinciale ou villageoise. M. de la Fresnaye avait un préjugé. « En amour, disait-il, il ne faut jamais être affectueux. »

Autant il était réservé dans ses manières, autant il était franc et même présomptueux dans ses discours. Quoique en apparence on ne lui laissât aucun espoir, il parlait comme un homme dont on a accepté l’avenir. Le jour où il amena sa petite