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OU DEUX AMOURS

Teresa ; enfin, ces ennuis étaient passés. Et la pauvre enfant venait d’arriver à Paris avec une parente de sa mère.

Dès six heures du matin, M. de la Fresnaye attendait sa sœur au débarcadère du chemin de fer d’Orléans ; il la vit et la trouva si gentille, qu’il se prit à l’aimer tout de suite. Elle avait voulu aller à pied pendant quelque temps pour voir un peu la ville merveilleuse qu’il lui tardait de connaître ; et Robert, s’amusant de ses questions étranges, de son esprit, de sa naïveté, la conduisait très-fraternellement chez lui, lorsqu’il avait été reconnu par le roi des commérages, ou plutôt par cette vieille portière du grand monde qu’on appelait le marquis de ***.

Ainsi s’expliquait l’aventure de la petite Zizi de l’Opéra et cette autre histoire de faux mariage et d’enfant bossu que madame d’Arzac avait recueillie avec tant de joie : on avait prêté à Robert une aventure de son père.

On s’occupa de ce roman pendant huit jours à Paris. La conduite de M. de la Fresnaye était louée avec enthousiasme ; il sacrifiait par cette reconnaissance près de quatre-vingt mille livres de rente. C’était inouï ! on l’admirait avec un étonnement humble et naïf ; chacun semblait dire : « Je ne connais que lui capable de faire une chose pareille ! » Il y avait même des gens qui, exagérant le sacrifice, l’accusaient de perdre cent cinquante mille livres de rente par cette belle action ; mais les jeunes personnes et les mères de famille étaient mieux informées ; elles savaient que la plus grande partie de sa fortune lui venait de sa mère, et que cette petite sœur, étant d’un second lit, n’avait droit qu’à la fortune du comte de la Fresnaye, son père. Un des principaux ennuis du grand monde, c’est d’entendre quelquefois, pendant une soirée entière, des femmes, jeunes et vieilles, même des jeunes filles, parler fortune, dots, rentes, héritages, propriétés, maisons de rapport, usufruits, substitutions, etc., etc., avec un intérêt toujours croissant et une admirable connaissance des faits. Que des gens d’affaires, des commerçants s’appliquent à connaître la fortune de tous ceux qui les entourent, cela est tout simple : quand on a pour métier de vendre, il faut bien s’informer si ceux à qui l’on vend ont de quoi payer ; mais dans un salon, mais pour des personnes