Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
MARGUERITE

grande et forte, elle paraissait en avoir quinze ou seize. Sa mère était Milanaise et d’une bonne famille, mais ruinée et sans crédit. Le comte de la Fresnaye, père de Robert, veuf depuis quelque temps, et voyageant en Italie, l’avait aperçue et s’était épris de passion pour elle. Il avait espéré faire d’elle sa maîtresse, et se borner à la séduire (on sait qu’il était peu délicat dans ses procédés) ; mais il comprit bientôt que cette séduction était impossible, et il se décida à se remarier. Au bout d’un an, sa seconde femme mourut en lui laissant une fille. Il revint en France, où il jugea inutile de parler de cette aventure. Sa conduite envers son enfant et les parents de sa femme fut telle, qu’on se résigna à faire de la dignité, désespérant de rien obtenir de lui. Ce ne fut qu’après sa mort qu’on eut l’idée de rappeler les droits méconnus de cette fille. Mais les actes principaux étaient anéantis ou perdus ; les témoins du mariage étaient dispersés. L’affaire, confiée à des avocats ingénieux, traîna en longueur. Dans leur finesse, ils empêchaient prudemment la famille, intéressée de faire la seule démarche qui fût raisonnable : c’était d’écrire à Robert… Oh ! quelle folie ! l’avertir, lui que cette révélation dépossédait en partie, c’était compromettre le succès ! Les gens de loi prévoient tout en affaires, excepté cette bizarrerie, qu’un homme, apprenant qu’il a un devoir d’honneur à remplir, s’empresse de le remplir aussitôt. La jeune fille, avec son instinct de générosité, fit plus que tous leurs beaux calculs : elle écrivit à son frère… en cachette, car c’était bien imprudent.

Robert fut d’abord très-étonné en recevant sa lettre ; puis de vagues souvenirs l’éclairèrent… Il se rappela avoir entendu parler à un vieux valet de chambre de son père d’une belle Italienne qui avait voyagé avec lui en Italie ; il prit des informations et fit demander des renseignements à la légation française de Milan ; mais l’acte de mariage ne s’y trouvait point. Après plusieurs recherches infructueuses, Robert finit par découvrir que son père avait voulu se marier à Naples, où il avait, à l’ambassade, un ancien camarade de jeunesse qui lui promit de le marier en secret et de cacher ce qu’il appelait sa faute à tous les Français présents en Italie. Et l’acte de naissance ?… il fallait six mois avant de retrouver l’acte de naissance de