Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
MARGUERITE

mots. Pour la première fois de sa vie elle parut souffrir de la vue de son fils. Oh ! certainement il y avait une douleur secrète au fond de cette âme. « Qu’a-t-elle donc ? » se disait-il.

Plusieurs personnes vinrent chez madame de Meuilles. Ce jour-là elle n’avait point défendu sa porte. Madame d’Arzac arriva à son heure ; elle venait tous les jours chez sa fille pour l’empêcher d’aller chez elle ; la saison commençait à être froide, et Marguerite ne pouvait sortir qu’avec de grandes précautions et les jours de soleil. Madame d’Arzac fut, comme Étienne, alarmée de l’air et des manières étranges de Marguerite : elle s’impatientait à la moindre contradiction ; elle trouvait tout mal, et déployait un merveilleux talent de satire jusqu’alors tout à fait inconnu. Madame d’Arzac se disait de son côté : « Qu’a-t-elle donc ? »

Elle prit Étienne à part, et, l’emmenant dans l’autre chambre, elle chercha à obtenir de lui la vérité ; mais il ne la savait pas. Il répéta ce que Marguerite lui avait dit au sujet de la Villeberthier.

— C’est une très-bonne idée, reprit vivement madame d’Arzac ; il faut vous marier tout de suite et partir.

Madame d’Arzac consentant si vite à laisser sa fille voyager sans elle, par ces premiers froids toujours dangereux pour une convalescente, c’était encore un symptôme alarmant.

Comme ils causaient ensemble, cherchant à se cacher mutuellement leurs soupçons et leurs craintes, M. de la Fresnaye, parfaitement calme, traversa le grand salon, précédé par le domestique qui allait l’annoncer. Revenir sitôt, quelle audace ! Il se croyait donc des droits ?

Étienne aurait bien voulu être là quand Marguerite le verrait entrer, pour savoir si elle l’attendait, ou si cette visite imprévue la fâchait ; mais il était si irrité, il avait un si violent désir d’insulter Robert, qu’il resta dans le premier salon, où quelques personnes, prêtes à s’en aller, étaient venues le rejoindre.

Marguerite, en apercevant M. de la Eresnaye, devint pâle comme une statue ; elle l’accueillit par un regard d’une dureté et d’une froideur qui l’épouvantèrent. Il fut un moment déconcerté. Après un salut d’une politesse haineuse, si l’on peut s’exprimer ainsi, elle se retourna vers la personne qui lui par-