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OU DEUX AMOURS

erreur et l’a réparée… en abandonnant sa femme. Elle est morte de chagrin ! Quant à l’enfant, qui était bossu, il n’a jamais voulu le reconnaître, il a prétendu qu’il était incapable d’avoir des enfants bossus.

Marguerite s’amusa de cette folle histoire comme d’une mauvaise plaisanterie. Elle ne croyait point aux cruautés paternelles de M. de la Fresnaye ; elle l’avait vu avec Gaston, et elle avait bien compris qu’il aimait trop les enfants pour avoir jamais le courage d’abandonner un fils à lui, même bossu.

Madame d’Estigny était contente de Marguerite. Après avoir pris le parti de M. de la Fresnaye attaqué comme père de famille, elle voulut éprouver encore madame de Meuilles et la forcer à être de son avis. — Eh bien, Marguerite, dit-elle, vous restez neutre ; il faut vous prononcer : avec qui êtes-vous ? Avec votre mère pour condamner M. de la Fresnaye ; ou avec nous pour le défendre ? Voyons, dites franchement, que pensez-vous de l’accusé ?

— Je pense, dit Marguerite en s’armant de toute son énergie pour vaincre ou cacher son trouble, je pense que M. de la Fresnaye est un homme très-distingué, supérieur, et que cela suffit pour expliquer toutes les calomnies.

— Elle est brave, se dit madame d’Arzac, il n’y a encore rien de sérieux.

Mais voilà qu’un vieux parent de madame d’Estigny fit demander de ses nouvelles ; il traversait Paris, se rendant d’un château à l’autre ; on ne l’avait pas vu depuis longtemps, on lui permit d’entrer. Il raconta en détail tous les plaisirs de son été, son séjour aux eaux, ses visites en province, et enfin son arrivée chez lui. Chaque récit était semé d’une broderie d’anecdotes piquantes, d’observations malignes, de parenthèses instructives ; car ce vieil homme du monde était une gazette vivante, un journal du soir en frac noir et en cravate blanche.

— Vous allez me dire encore que je suis un furet, que je paye vingt espions pour savoir ce qui se passe !… Dès mon premier pas dans la capitale, j’ai découvert une petite intrigue, peu de chose, mais j’arrive, il faut être indulgent… Je quittais l’embarcadère du chemin de fer d’Orléans, je m’en allais tranquillement chez moi dans un fiacre avec mes deux malles. Tout