Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
MARGUERITE

contre lui une sortie admirable, remplie de verre et d’esprit. Madame d’Estigny la contemplait d’un air étonné, et semblait lui dire : « Prenez garde ! ce n’est pas prudent, vous ne voyez donc rien !… » Car madame d’Estigny avait parfaitement observé tout le petit drame qui s’était joué chez elle quinze jours auparavant. Elle avait compris la jalousie de la duchesse et d’Étienne, et, ce qui est plus grave, elle avait reconnu qu’ils avaient tous deux raison d’être jaloux. D’abord elle crut madame d’Arzac aveuglée, mais elle s’aperçut que la mère intelligente avait, comme elle, la conscience du danger, et que c’était pour le conjurer qu’elle appelait la médisance et la méchanceté à son secours.

Bientôt, avec cette prompte intuition des femmes du monde, elles se devinèrent… et elles s’entendirent tacitement pour étudier, chacune à son tour, sur le visage de Marguerite, les impressions diverses que lui faisaient éprouver les attaques cruelles de sa mère contre M. de la Fresnaye et les justifications éloquentes d’un de ses amis : il y avait là un ami de Robert qui le défendait avec chaleur ; et le résultat de leurs observations fut que Marguerite était complètement indifférente a l’accusation et à la défense. — Elle ne l’aime pas, se dirent-elles. — Et Marguerite elle-même se dit : — Cela ne me fait aucun chagrin d’entendre parler mal de lui, je ne l’aime donc pas ?… Et elle se réjouit dans le fond de son âme.

Parmi les crimes dénoncés, il y en avait un dont madame de Meuilles ne put s’empêcher de rire, ce qui lui était facile, elle n’y croyait pas. On reparlait encore de son voyage en Italie.

— Ah ! je vous prédis, moi, qu’il n’ira pas ; il ne peut pas aller en Italie, reprit madame d’Arzac.

— Eh ! pourquoi ? s’écria-t-on.

— Parce qu’il y serait, comme M. de Pourceaugnac, poursuivi par une foule de femmes et d’enfants, et qu’il n’a pas envie d’entendre chanter à ses oreilles ce chœur terrible : « La polygamie est un cas pendable ! La polygamie est un cas pendable !… »

— Il est donc marié ?

— Marié et père de famille ! Marié, Comme don Juan, à une fausse église, avec un faux prêtre. Après tout, il a reconnu son